Traduit en français par « Don », « Dar » est un tout nouveau prix littéraire en vue duquel un concours s’ouvre aujourd’hui même. L'idée de sa création revient à l'écrivain russe Mikhaïl Chichkine. Je suis fière que mon journal NashaGazeta soit invité à rejoindre le groupe de ses fondateurs.
La guerre en Ukraine a suscité tant de haine, détruit et brisé tant de vies, causé une dévastation matérielle et morale si terrible, et qui plus est plongé les personnes saines d'esprit dans un état de choc si profond qu'il semblait impensable d'attendre autre chose que de nouvelles fleurs du mal pour fleurir sur un tel sol. Mais la vie s’est avérée plus sage !
De sorte que oui : je suis heureuse de vous annoncer la naissance de ce nouveau projet ; de ce prix littéraire « Dar », dont l'essence est formulée comme suit par ses organisateurs :
« L'agression à grande échelle de la Fédération de Russie contre l'Ukraine, outre son objectif principal – la destruction de l'État voisin –, est dirigée contre les valeurs humanitaires de la culture mondiale qui nous unissent, dont la culture de la langue russe fait partie. La langue a été prise en otage par l'agresseur – et nous, écrivains, éditeurs, critiques littéraires, traducteurs, slavistes, sommes tenus de promouvoir d'urgence la littérature libre en russe. La création d'un prix indépendant est l'une de ces mesures. Le prix Dar n'est ni un “prix russe” ni un “prix de littérature russe ”. C'est un prix pour repenser toute l'expérience de la littérature en russe, un prix pour découvrir de nouvelles approches de la littérature et de la vie littéraire au-delà de l'archaïsme étatique, un prix pour tous ceux qui écrivent et lisent en russe, indépendamment de leur passeport et de leur pays de résidence. La langue russe n'appartient pas aux dictateurs, mais à la culture mondiale ».
Voilà, tout est dit. J’espère que vous apprécieriez l'importance et l'opportunité d'une telle entreprise. L'initiateur du prix Dar est donc l'écrivain russe Mikhaïl Chichkine, qui vit en Suisse depuis de nombreuses années. (Son éditeur en langue française est Noir sur Blanc, à Lausanne). Il est accompagné par l’Association suisse des slavistes, qui comprend, outre Chichkine lui-même, les professeurs Tomas Glanz, Jean-Philippe Jaccard, Catherine Karl, Georges Nivat, Ilma Rakuza, Gervaise Tassis, Anastasia de la Fortelle, Jens Herlt et Ulrich Schmid.
La liste des personnalités du monde culturel qui ont accepté de devenir des cofondateurs du prix est également impressionnante : le Prix Nobel bélarusse de la littérature Svetlana Alexievitch, le célèbre écrivain lituanien Tomas Ventslova, sa collègue russe Lioudmila Oulitskaïa, le chef d’orchestre Vladimir Jurowski… En outre, comme me l'a confié Mikhaïl Chichkine, Sergei Soloviev, un auteur russophone qui vit en Allemagne avec un passeport ukrainien, a lui aussi accepté de se joindre aux cofondateurs. Je suis convaincue que cette liste va s'allonger – une si bonne cause ne peut rester sans soutien !
« Le prix littéraire Dar peut devenir une plateforme unificatrice pour la dispersion fragmentée de la langue russe. C'est une chance pour la société civile internationale russophone en dehors de l'État de faire ses preuves ; de montrer qu'elle existe dans un monde sans frontières ; qu'elle est capable de se développer et qu'elle est digne de sa culture. Les remises de Prix dans les différents pays deviendront une plate-forme de discussion sur les problèmes les plus importants auxquels nous sommes tous confrontés », déclare Mikhaïl Chichkine avec enthousiasme. Enthousiasme que je partage pleinement.
Outre la satisfaction morale et le prestige, l'aspect pratique du nouveau Prix est extrêmement important. Il est difficile pour les jeunes auteurs débutants de percer à tout moment, et encore plus en période de crise ; c'est pourquoi leurs camarades plus âgés ou juste plus anciens dans le métier ont décidé de leur donner un coup de pouce. « Les éditeurs occidentaux publient encore, par inertie, des écrivains dont le nom est connu. Mais pour les jeunes, l'accès aux traductions est pratiquement fermé. Nous avons décidé de les soutenir, ainsi que les traducteurs occidentaux de langue russe – qui sont également dans une situation difficile aujourd'hui –, et les nouvelles maisons d'édition indépendantes », explique Mikhaïl Chichkine.
Comment concrètement ? En accordant une bourse pour la traduction en anglais, en allemand ou en français, à laquelle d'autres langues viendront probablement s'ajouter. Les premiers sponsors, qui ne viennent pas toujours du monde littéraire, ont déjà été trouvés : les fonds sont assurés pour la première année et la publication des livres des premiers lauréats, dont les noms seront annoncés en avril 2025. Le projet a reçu le soutien de la Commission européenne et du Pen International. Et ce n'est qu'un début !
Je suppose que de nombreuses personnes entendront dans le nom du prix le titre du célèbre roman de Vladimir Nabokov. Il n'y a pas de lien entre les deux, on peut presque parler d’une coïncidence ; toutefois l'histoire de ce roman est à ce point révélatrice et instructive que je me permets de l'évoquer en quelques lignes. Le Don fut écrit par un auteur émigré qui n'était encore pas célèbre et qui écrivait sous le pseudonyme de Sirine. Il a été rédigé en russe et à Berlin. Le personnage principal est un jeune poète, émigré, fils d'un célèbre scientifique disparu pendant la guerre civile en Russie. Le roman a été publié dans cinq numéros de l'almanach parisien Notes contemporaines en 1937 et 1938, mais avec des coupures. Il n'a été édité intégralement qu'en 1952 par la maison d'édition Tchekhov à New York. En Union soviétique, le roman a été publié pour la première fois par la maison d'édition Slovo/Slovo à Moscou aussi tard qu’en 1990. Parmi les nombreux encarts poétiques présents dans son texte, il en est un qui, à mon avis, se passe de tout commentaire :
Merci, ma patrie lointaine
Merci, pour ce cruel émoi.
Perdus dans la brume incertaine
Nous nous parlons, mon âme et moi.
Et personne ne saurait dire
De notre nocturne entretien
Si c’est la voix de mon délire
Ou si ce murmure est le tien.
(Traduit de l’anglais par Raymond Girard.)
Toutes les informations concernant la création du Prix se trouve sur le site qui vient d’être lancé. Bonne lecture!
Nadia Sikorsky a grandi à Moscou, où elle a obtenu un master de journalisme et un doctorat en histoire à l’Université d’Ètat de Moscou. Après 13 ans au sein de l’Unesco à Paris puis à Genève, et exercé les fonctions de directrice de la communication à la Croix-Verte internationale, fondée par Mikhaïl Gorbatchev, elle développe NashaGazeta.ch, quotidien russophone en ligne.
En 2022, elle s’est trouvée parmi celles et ceux qui, selon la rédaction du Temps, ont « sensiblement contribué au succès de la Suisse romande », parmi les faiseurs d’opinion et leaders économiques, politiques, scientifiques et culturels – le Forum des 100.
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