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L’accent russe | Le blog de Nadia Sikorsky

08.10.2024
"Aux armes! Aux armes!" © Carole Parodi/Opera de Lausanne

« Cet opéra, créé il y a plus de cent ans, sonne encore frais et beau aujourd'hui. De plus, dans un monde secoué par la lutte titanesque inouïe de tout ce qui est lumineux et raisonnable contre les forces obscures d'un fascisme hideux et sanglant, le son de cet opéra acquiert une nouvelle conviction, encore plus grande. »

 Le lecteur attentif devinera que la citation ci-dessus n'est pas tirée d'un compte-rendu d'un de mes collègues sur la “première” qui a eu lieu à Lausanne dimanche dernier. Il l’aura deviné non parce que quelque chose a radicalement changé dans le monde, mais parce qu’il a prêté attention au chiffre évoqué : l'opéra de Rossini n'a, présentement, pas « plus de cent ans », mais presque deux cents ans. Il fut écrit en 1829 et est entré dans l’histoire de la musique en qualité d'opéra le plus long et le dernier d'un compositeur italien qui lui survécu quarante ans. On pense généralement que la base littéraire du livret est une pièce de Friedrich von Schiller, mais certaines sources fiables affirment que son inspiration provient plutôt d'Antoine-Marin Lemierre (1723-1793), poète et dramaturge français, auteur de tragédies sur des sujets antiques et membre de l’Académie française. En faveur de cette version, se trouve le fait que Rossini ait écrit son opéra non pas dans sa langue maternelle – l'italien –, ni dans l'allemand de Schiller, mais en français, inspiré sans doute par l'expérience de la Révolution française encore fraîche dans son esprit. En outre, le nom du protagoniste, au gré du compositeur, n'est pas Wilhelm, mais Guillaume. (A propos, tout le monde ne sait probablement pas que l'argent fourni pour l’érection du monument à Guillaume Tell qui se trouve à Lausanne – 50’000 francs en 1906 – fut offert par le mécène français Daniel-Iffla Osiris, au titre de remerciement pour l'abri qui fut donné aux soldats français pendant la guerre de 1870 ; détail fournis par l’historienne d’art Natacha Isoz dans le programme du spectacle. Encore une autre guerre !).

Monument à Wilhelm Tell à Altdorf, 1895, par sculpteur Richard Kissling

 Mais alors, d'où provient cette citation ? D'une critique publiée dans le journal Pravda, l’organe du Parti communiste de l’Union soviétique, en date du 14 novembre 1942, à l'occasion de la “première” d'une production de l’opéra de Rossini réalisée par le théâtre Bolchoï à Kouibyshev – aujourd'hui Samara –, où le théâtre a été évacué pendant le temps de la Grande Guerre patriotique.

 Vous êtes-vous demandé pourquoi le théâtre Bolchoï mettait en scène, en pleine guerre, un opéra consacré au héros national de la Suisse: comme vous vous en souvenez, les relations diplomatiques entre l'URSS et la Suisse étaient rompues à l'époque ? Ne perdez pas votre temps ; la réponse est donnée dès le paragraphe suivant : « La noble image de Guillaume Tell – un combattant courageux et intrépide pour la liberté de son peuple – évoque et ne peut qu'évoquer la réponse la plus ardente de notre peuple soviétique ».

Une très rare photo de la production du "Guillaume Tell" par le théâtre Bolshoï, en 1942 (Archive de N. Sikorsky)

 Fait suite une analyse “normale” de l’ensemble de la production, avec ses mérites et défauts, incluant notamment des éloges à l’endroit de Petr Williams, l’artiste qui a vêtu les Landksnechts d’uniformes nazis… une option que les auteurs de la critique ont cependant trouvé insuffisante : « Il eut été souhaitable qu'ils (décors et costumes) répondent plus pleinement à l'esprit héroïque de l'opéra ». Or qui sont-ils, ces juges ; c'est-à-dire ces critiques ? La signature en fin de page de la Pravda porte deux noms : «V. Kataïev, D. Chostakovitch ». Oui ! Imaginez : la critique n'émane pas de simples scribouillards ultra-patriotiques, mais d’un remarquable écrivain et d’un génial compositeur. Huitante-deux ans se sont écoulés depuis lors. Sachez aussi, que l'opéra de Rossini fut représenté pour la première fois en Russie sur la scène du théâtre Bolchoï de Saint-Pétersbourg le 30 octobre 1836 (le 24 avril 1838, selon d'autres sources) sous le titre de « Charles le Téméraire ». C’est qu’à l'époque, tout ce qui pouvait seulement évoquer la lutte pour la liberté et l'indépendance en avait été banni. Je me demande bien à quoi ressemblerait la production aujourd'hui…

 Suissesse d’adoption, je ne me permettrai pas d’offenser mes lecteurs suisses à coups de renseignements sur Guillaume Tell ! Vous connaissez cette histoire autrement mieux que moi. Cependant, je rapporte volontiers un bref résumé de l'opéra, tel qu'il fut établi par le musicologue soviétique Abram Gozenpoud, qui connaissait fort bien Chostakovitch. Voici ce qu’il rapporte :

 « L'opéra se déroule en 1308 en Suisse, sous domination autrichienne. L'oppression est insupportable et la colère mûrit dans le cœur du peuple. Les protagonistes de l'opéra – le tireur Tell, le vieux paysan Melchthal et l'alpiniste Leuthold – incarnent le courage, le patriotisme et la liberté. Arnold, le fils de Melchthal, est troublé : il aime la princesse autrichienne Mathilde, partisane du lieutenant du roi Gessler. Dans un premier temps, Arnold frôle la trahison – pour devenir l'époux de Mathilde, il est prêt à servir les Autrichiens –, mais ensuite, sous l'impression de la mort tragique de son père, exécuté sur ordre de Gessler, il rejoint les Suisses. Tell est particulièrement détesté par le lieutenant du roi, qui le soumet à une sévère torture psychologique en lui ordonnant de faire tomber une pomme de la tête de son propre fils avec une flèche. L'archer abat la pomme, mais le tyran remarque que Tell a gardé une deuxième flèche pour lui, et le casse-cou est arrêté. Les montagnards s’apprêtent à se révolter. Une tempête s'abat sur le bateau de Gessler, qui emmène Tell en prison. Tell fait chavirer le bateau et, atteignant le rivage, frappe Gessler d'un coup d'arc. La révolte gagne la Suisse. Le pouvoir des Autrichiens est brisé ».

 Happy end, assurément.

© Carole Parodi/Opéra de Lausanne

 À présent que l'intrigue est claire et que les thèmes classiques – loyauté/trahison, etc. – viennent d’être identifiés, je peux enfin passer à la production de l'Opéra de Lausanne.

 Chacun le sait : un opéra débute par une Ouverture ; or dans Guillaume Tell, cette Ouverture s’avère particulière. Ce n'est pas un hasard si elle est devenue l'un des morceaux d’orchestre les plus célèbres de tout l’opéra de Rossini, entrant ainsi dans le répertoire symphonique des orchestres du monde entier. Contrairement à nombre de ses collègues, le compositeur n'a pas introduit dans son Ouverture les thèmes de l'opéra ; toutefois, il est parvenu à convaincre les auditeurs de son lien sémantique avec le reste de l'œuvre. Si vous vous rendez à Lausanne pour assister à la représentation – ce que je vous souhaite vivement ! –, prêtez attention aux solos de violoncelle, aux trémolos turbulents des timbales, aux gouttes de pluie qui s'échappent des flûtes piccolo et au corne français qui fait semblant d'être un cor des Alpes suisse. Et souriez au son du célèbre galop avec ses fanfares – quel patriotisme sans fanfares !

© Carole Parodi/Opéra de Lausanne
 Mais voilà que le rideau tremble, s'écarte, et qu'au fond de la scène une peinture à l'huile géante apparaît au public. Une magnifique stylisation d’une non moins magnifique toile de Ferdinand Hodler, avec les montagnes encadrant le lac. Tout en rose. La vie en rose. La paix et la tranquillité. Une pastorale. Une idylle, que certains imaginent encore être la Suisse, introduite dans l'espace russophone par l’historien Nikolaï Karamzine en 1789. Tout, pour autant, n'est pas rose dans cette idylle, comme le montre le tableau suivant.

 Sur la place de la ville d'Altdorf, dans la commune d'Uri, les gens se rassemblent ; on n’y reconnaît pas immédiatement Tell dépourvu de sa hotte habituelle. Des concitoyens préparent joyeusement le triple mariage : il s’agit là de paysans, paysannes et bûcherons, comme descendus des toiles de l’artiste suisse Ernest Bieler. Le tout rappelle quelque peu les décors du russe Nikolaï Roerich pour la première du Sacre du Printemps d'Igor Stravinsky. Tell seul n'est pas joyeux, il porte la tête baissée : il est préoccupé par le sort de sa patrie. Il se devait de l'être, c'est pour cela qu'il est un Héros !

 Quelle était la situation politique de l'époque ? Selon le discours historique officiel, le serment d'assistance mutuelle prêté sur la clairière du Grütli par les représentants d'Uri, de Schwyz et d'Unterwald avait déjà été prêté dix-sept ans auparavant. Le Pacte fédéral d'août 1291 avait été signé et l'Helvétie existait formellement. Or il convient de préciser que l'« assistance mutuelle » ne signifiait pas seulement la possibilité d'emprunter du sel à un voisin ou d'envoyer ses vaches paître dans son pré, mais aussi le soutien par les armes : les habitants des trois vallées, qui partageaient entre elles une importante route commerciale, décidaient ainsi de résister à l'oppression de la dynastie des Habsbourg qui s'était emparée du trône du Saint-Empire romain Germanique.

 Le spectateur attentif se méfiera : si tous ces événements historiques, dont Antoine-Marin Lemierre fut le témoin, appartiennent déjà au passé, pourquoi, dans l’opéra, chante-on encore le Grütli ? Les événements sont certes historiques, mais la question de savoir si Guillaume Tell a réellement existé reste entière. Avec le même succès, il est possible de débattre de la réalité d'Ivan Soussanine, le héros de l’opéra patriotique de Mikhaïl Glinka. Les créateurs de la production lausannoise (le chef d'orchestre Francesco Lanzilotta, le metteur en scène Bruno Ravella, le concepteur de décors Alex Eales et la costumière Sussie Juhlin-Wallén, dont c'est la première production à l'Opéra de Lausanne) ont choisi un mythe. « Chaque acte commence par une image en deux dimensions qui prend vie comme si les personnages sortaient d'un livre d'histoire tel que celui dans lequel les enfants découvrent la légende de Guillaume Tell », explique Bruno Ravella, né à Casablanca dans une famille italo-polonaise. Et je peux dire avec un vif plaisir que son idée est une réussite !

© Carole Parodi/Opéra de Lausanne
 Mais qu'en est-il des chanteurs ? Dans sa critique de 1942, Dimitri Chostakovitch faisait une mention toute spéciale de Natalia Shpiller dans le rôle de Mathilde, qualifiant sa prestation d'“exceptionnelle”. « Une voix d'une rare beauté, une musicalité authentique, un grand charme scénique- tout cela a aidé la talentueuse artiste à créer une image artistique profonde », écrit-il à propos de la chanteuse qui, en mars 1943, recevait pour ce rôle le Prix Staline du premier degré doté d’une somme de 100 000 roubles, qu'elle versait sur-le-champ, avec d'autres lauréats, au Fonds de défense du pays. Aujourd'hui, j’adresse ces mêmes compliments à la soprano Olga Kulchynska, qui, comme Natalia Shpiller, est née à Kiev, y a obtenu son diplôme au Conservatoire Tchaïkovski (aujourd'hui Académie nationale de musique) puis, de 2014 à 2017, s'est produite au Théâtre Bolchoï de Moscou. Aux éloges ci-dessus mentionnés, j’ajoute son excellente prononciation – chacun monde sait à quel point il est difficile pour les non-francophones de chanter en français !

 La soprano canadienne Elisabeth Boudreault, dans le rôle de Jemmy, le fils de Guillaume Tell, et le baryton français Jean-Sébastien Bou dans le rôle-titre méritent également des éloges. Pour ces trois, cette production constitue non seulement leur première expérience de collaboration avec l'Opéra de Lausanne, mais aussi la prise de ces rôles respectifs. Hélas, les ténors – soit le Français Julien Dran (Arnold) et Sahy Ratia (le Pêcheur), un Malgache ayant étudié à Paris – n’ont pas été à la hauteur. Le très bel air du Pêcheur ouvrant le spectacle, il est fort dommage qu'il n'ait pas été interprété au niveau approprié. En 1942, c’est le jeune ténor Solomon Khromtchenko qui le chantait… au reste félicité par Dimitri Chostakovitch.

 Dans cet opéra, comme dans les tragédies grecques antiques, le chœur joue un rôle très particulier : il est la vox populi, la voix du peuple, qui reste si souvent silencieuse.

© Carole Parodi/Opéra de Lausanne
 Ne souhaitant pas « spoiler » pour vous le reste du spectacle, je passe directement au final dans lequel Guillaume Tell, entouré de ses contemporains reconnaissants, s'élève sous nos yeux au-dessus d'eux jusqu’à se muer en un monument très semblable à celui qui, depuis 1895, orne la place principale d'Altdorf (en effet oui, le héros national dût attendre près de six siècles avant d'être immortalisé dans son pays natal). Ce monument vivant est donc très semblable… si ce n’est que, contrairement à celui d'Altdorf, on n’y voit à côté du héros ni son fils Jemmy, dont l'habile tireur a risqué la vie au nom de considérations supérieures, ni sa femme Hedwige, qui a versé de nombreuses larmes, ni la princesse Mathilde, venue voir la femme de l'“opposant” avec Jemmy, disant : « Je rends à votre amour un fils ». Rappelons en passant que les Suissesses ont dû attendre 1971 pour que leurs hommes héroïques leur accordent enfin le droit de vote.
© Carole Parodi/Opéra de Lausanne

 ... Les légendes résistent à l'épreuve du temps. Ou pas. De nombreuses personnes en Suisse sont aujourd'hui indignées par l'appropriation de Guillaume Tell par l’UDC, qui se plait à organiser des rassemblements avec le monument d'Altdorf pour toile de fond. Le célèbre dramaturge suisse Max Frisch a choqué ses compatriotes lorsque, dans son livre Guillaume Tell pour l'école (Wilhelm Tell für die Schule, 1971), il a créé une anti-légende en faisant du personnage positif non pas Guillaume Tell, mais le gouverneur des Habsbourg, Gessler. Selon Frisch, Gessler recherchait le compromis ; il ne voulait nullement envenimer les relations avec ses sujets, alors même que le héros suisse était un montagnard morose et borné, effrayé par le changement et qui avait lâchement tué le Vogt.

 Les légendes sont réinterprétées, l'histoire est réécrite et les guerres se poursuivent. D’idyllique, le tableau de Hodler, qui nous réjouissait tant au début du spectacle, vire au final au noir et blanc ; la pastorale est barrée d'une tache sanglante.

 Mais voilà qui n’est pas coutume ; je souhaite conclure cette critique d'un opéra patriotique par l’appel que voici : Mamans du monde ! N'admirez pas l'habileté de vos fils à tirer, même avec un petit arc sous la forme d’un jouet. Ne laissez personne leur mettre des pommes sur la tête et tenter ainsi leur destin ! Ne laissez personne en faire des héros ou des victimes. Saisissez-les par les bras et les jambes, mettez-vous en travers de leur chemin et criez-leur ce qui vous semble le plus efficace – depuis le « je te frapperai d'anathème » au « je te déshériterai ». Suppliez, menacez, faites du chantage, mais ne les laissez pas se faire entraîner dans ce mal irréparable et sanglant qu'est la guerre. Si toutes les mères du monde qui aiment leurs enfants et qui, par la volonté des circonstances, se retrouvent de part et d'autre des lignes du front – de tous les fronts – s'unissent, les guerres prendront fin. Toutes les guerres. Mais il faudra que toutes les mères s’y mettent. Toutes. Tel est ce que je veux vous dire – moi, maman de deux garçons – en écrivant ces lignes en ce terrible jour du 7 octobre.

30.09.2024

Traduit en français par « Don », « Dar » est un tout nouveau prix littéraire en vue duquel un concours s’ouvre aujourd’hui même. L'idée de sa création revient à l'écrivain russe Mikhaïl Chichkine. Je suis fière que mon journal NashaGazeta soit invité à rejoindre le groupe de ses fondateurs.
 
La guerre en Ukraine a suscité tant de haine, détruit et brisé tant de vies, causé une dévastation matérielle et morale si terrible, et qui plus est plongé les personnes saines d'esprit dans un état de choc si profond qu'il semblait impensable d'attendre autre chose que de nouvelles fleurs du mal pour fleurir sur un tel sol. Mais la vie s’est avérée plus sage !
 
De sorte que oui : je suis heureuse de vous annoncer la naissance de ce nouveau projet ; de ce prix littéraire « Dar », dont l'essence est formulée comme suit par ses organisateurs :
 
« L'agression à grande échelle de la Fédération de Russie contre l'Ukraine, outre son objectif principal – la destruction de l'État voisin –, est dirigée contre les valeurs humanitaires de la culture mondiale qui nous unissent, dont la culture de la langue russe fait partie. La langue a été prise en otage par l'agresseur – et nous, écrivains, éditeurs, critiques littéraires, traducteurs, slavistes, sommes tenus de promouvoir d'urgence la littérature libre en russe. La création d'un prix indépendant est l'une de ces mesures. Le prix Dar n'est ni un “prix russe” ni un “prix de littérature russe ”. C'est un prix pour repenser toute l'expérience de la littérature en russe, un prix pour découvrir de nouvelles approches de la littérature et de la vie littéraire au-delà de l'archaïsme étatique, un prix pour tous ceux qui écrivent et lisent en russe, indépendamment de leur passeport et de leur pays de résidence. La langue russe n'appartient pas aux dictateurs, mais à la culture mondiale ».
 
Voilà, tout est dit. J’espère que vous apprécieriez l'importance et l'opportunité d'une telle entreprise. L'initiateur du prix Dar est donc l'écrivain russe Mikhaïl Chichkine, qui vit en Suisse depuis de nombreuses années. (Son éditeur en langue française est Noir sur Blanc, à Lausanne). Il est accompagné par l’Association suisse des slavistes, qui comprend, outre Chichkine lui-même, les professeurs Tomas Glanz, Jean-Philippe Jaccard, Catherine Karl, Georges Nivat, Ilma Rakuza, Gervaise Tassis, Anastasia de la Fortelle, Jens Herlt et Ulrich Schmid.
 
La liste des personnalités du monde culturel qui ont accepté de devenir des cofondateurs du prix est également impressionnante : le Prix Nobel bélarusse de la littérature Svetlana Alexievitch, le célèbre écrivain lituanien Tomas Ventslova, sa collègue russe Lioudmila Oulitskaïa, le chef d’orchestre Vladimir Jurowski… En outre, comme me l'a confié Mikhaïl Chichkine, Sergei Soloviev, un auteur russophone qui vit en Allemagne avec un passeport ukrainien, a lui aussi accepté de se joindre aux cofondateurs. Je suis convaincue que cette liste va s'allonger – une si bonne cause ne peut rester sans soutien !
 
« Le prix littéraire Dar peut devenir une plateforme unificatrice pour la dispersion fragmentée de la langue russe. C'est une chance pour la société civile internationale russophone en dehors de l'État de faire ses preuves ; de montrer qu'elle existe dans un monde sans frontières ; qu'elle est capable de se développer et qu'elle est digne de sa culture. Les remises de Prix dans les différents pays deviendront une plate-forme de discussion sur les problèmes les plus importants auxquels nous sommes tous confrontés », déclare Mikhaïl Chichkine avec enthousiasme. Enthousiasme que je partage pleinement.
 
Outre la satisfaction morale et le prestige, l'aspect pratique du nouveau Prix est extrêmement important. Il est difficile pour les jeunes auteurs débutants de percer à tout moment, et encore plus en période de crise ; c'est pourquoi leurs camarades plus âgés ou juste plus anciens dans le métier ont décidé de leur donner un coup de pouce. « Les éditeurs occidentaux publient encore, par inertie, des écrivains dont le nom est connu. Mais pour les jeunes, l'accès aux traductions est pratiquement fermé. Nous avons décidé de les soutenir, ainsi que les traducteurs occidentaux de langue russe – qui sont également dans une situation difficile aujourd'hui –, et les nouvelles maisons d'édition indépendantes », explique Mikhaïl Chichkine.
 
Comment concrètement ? En accordant une bourse pour la traduction en anglais, en allemand ou en français, à laquelle d'autres langues viendront probablement s'ajouter. Les premiers sponsors, qui ne viennent pas toujours du monde littéraire, ont déjà été trouvés : les fonds sont assurés pour la première année et la publication des livres des premiers lauréats, dont les noms seront annoncés en avril 2025. Le projet a reçu le soutien de la Commission européenne et du Pen International. Et ce n'est qu'un début !
 
Je suppose que de nombreuses personnes entendront dans le nom du prix le titre du célèbre roman de Vladimir Nabokov. Il n'y a pas de lien entre les deux, on peut presque parler d’une coïncidence ; toutefois l'histoire de ce roman est à ce point révélatrice et instructive que je me permets de l'évoquer en quelques lignes. Le Don fut écrit par un auteur émigré qui n'était encore pas célèbre et qui écrivait sous le pseudonyme de Sirine. Il a été rédigé en russe et à Berlin. Le personnage principal est un jeune poète, émigré, fils d'un célèbre scientifique disparu pendant la guerre civile en Russie. Le roman a été publié dans cinq numéros de l'almanach parisien Notes contemporaines en 1937 et 1938, mais avec des coupures. Il n'a été édité intégralement qu'en 1952 par la maison d'édition Tchekhov à New York. En Union soviétique, le roman a été publié pour la première fois par la maison d'édition Slovo/Slovo à Moscou aussi tard qu’en 1990. Parmi les nombreux encarts poétiques présents dans son texte, il en est un qui, à mon avis, se passe de tout commentaire :
 
Merci, ma patrie lointaine
Merci, pour ce cruel émoi.
Perdus dans la brume incertaine
Nous nous parlons, mon âme et moi.
Et personne ne saurait dire
De notre nocturne entretien
Si c’est la voix de mon délire
Ou si ce murmure est le tien.

(Traduit de l’anglais par Raymond Girard.)
 
Toutes les informations concernant la création du Prix se trouve sur le site qui vient d’être lancé. Bonne lecture!
 
 

18.09.2024
Pietr Kazarnovski présente Léonid Aronzon. Photo © Antoine Cattin

Le paradis d’Aronzon : C’est là, en abrégé, l’intitulé de la thèse de doctorat soutenue il y a quinze jours à l'Université de Genève par Pietr Kazarnovski. Maintenant, il se trouve que j’ai eu le plaisir d’assister à cette soutenance de thèse ès lettre en Études russes. Son titre complet : La ‘représentation du paradis’ chez Léonid Aronzon : une poétique de la contemplation. Le candidat, je l’ai dit, était Pietr Kazarnovski, né en 1969 à Leningrad, critique littéraire et poète, spécialiste de l'avant-garde russe – l'un des compilateurs de la collection en deux volumes des œuvres de Leonid Aronzon parue en 2006 et rééditée en 2018. Étant impossible de vivre des seuls fruits de son travail littéraire, Pietr Kazarnovski est par ailleurs professeur de langue et de littérature russes dans une école de Saint-Pétersbourg. Sa monographie constitue le premier ouvrage scientifique consacré à Léonid Aronzon.

J'avoue que je ne savais rien de ce Léonid Aronzon ; pour cette raison, avant de me rendre à l’Université de Genève, j’ai consulté Wikipédia. J'y ai découvert qu'il existait bien un poète russe de ce nom, né en 1939 à Leningrad où il obtenait son diplôme de l’école secondaire n° 167, puis de l'Institut pédagogique de Leningrad (il avait d'abord étudié à la faculté de Biologie et des sols, avant d'être transféré à la faculté des Lettres). Pendant ses études, il rencontre sa future épouse, Margarita Purishinskaïa (1935-1983), avec laquelle il se marie le 26 novembre 1958. En 1960, il passe sept mois à l'hôpital en raison d'une ostéomyélite à la jambe, après quoi il reste invalide. Il donne des cours du soir et écrit des scénarios pour des films de vulgarisation scientifique pour gagner quelque argent. Entre 1960 et 1970, il souffre d'une grave dépression. Selon la version officielle, il se tire une balle de fusil de chasse lors d'une expédition en Asie centrale. Cependant, d'après les résultats de l'examen pathologique, la nature de la blessure indique plutôt un accident dû à une manipulation imprudente de l'arme. Âgé de 31 ans, il décède dans un hôpital de Gazalkent, en Ouzbékistan. (Cela explique peut-être pourquoi la seule page de Wikipédia dédiée à Aronzon, en dehors de la page russe, est en ouzbek.)

Poète Léonid Aronzon (1939-1970)

Assister à la soutenance de cette thèse a été pour moi non seulement très instructif, mais aussi simplement agréable : avec tout ce qui se passe dans le monde, voilà qu'on discute du poète – et même en russe ! Il était tout aussi plaisant de rencontrer, le lendemain, Pietr Kazarnovski – entretemps devenu docteur ès lettres ! – et de parler avec lui de choses et d’autres.

J’appris que l’idée de la thèse émanait du professeur genevois Jean-Philippe Jaccard et que Pietr avait mis huit ans pour l’écrire, sans être pour autant sûr qu’un diplôme délivré par une université occidentale soit encore reconnu en Russie. J’appris également que dans sa jeunesse, le même Pietr avait fréquenté la veuve d’Aronzon : très malade, celle-ci souffrait d'une malformation cardiaque – un héritage du blocus de Léningrad. Selon lui, jusqu'aux années 2000, leur maison était restée extérieurement presque inchangée, et aujourd’hui encore s’y trouve le bureau où le poète travaillait. Dans les années 1980, une salle de bains d’origine existait encore : comme il y avait toujours du monde chez eux, Léonid Aronzon s'y rendait périodiquement pour travailler en silence.

Au début des années 1960, la mère d’Aronzon, une célèbre chirurgienne qui avait connu la guerre, réussit miraculeusement à sauver de l'amputation la jambe de son fils (lors d'une expédition, il était tombé gravement malade et depuis lors devenu invalide). La jambe avait bien été sauvée, mais depuis lors il lui fallait se rendre régulièrement à l'hôpital. Tout cela impressionna beaucoup jeune Pietr Kazarnovski, et lorsque la question du choix d'un sujet de thèse se posa à l'université, il s’était dit : pourquoi pas Aronzon ?

Pietr Kazarnovski présente sa thèse © NashaGazeta

Après bien des années de “cohabitation” avec Léonid Aronzon, Pietr Karaznovski ne prétend pas pour autant en être devenu un familier ; selon lui, « il est important de garder une certaine distance pour mieux comprendre ». De son vivant, Léonid Aronzon n'a pratiquement jamais publié dans la presse « ouverte ». Dans le cas de Pietr, en 1997, avec l'aide d’un ami, son premier livre de poésie et de prose était publié en Allemagne… À seulement dix exemplaires. « C'était du samizdat. Nous avons fabriqué ce livre à la maison. C'était génial ».

Curieuse coïncidence : le jour même où j'ai appris la soutenance de la fameuse thèse, j'ai lu dans l’essai de Yakov Gordin intitulé Pouchkine. Brodski. L’Empire et le destin que le prix Nobel de la littérature Joseph Brodsky (le cinquième russe à recevoir cette distinction) avait mentionné Léonid Aronzon dans une réfutation qu'il avait envoyée en 1963 au journal Vecherniy Leningrad. J'ai ensuite découvert que non seulement tous deux se fréquentaient au début des années 1960 (on dit que c'est Brodsky qui aida Aronzon à obtenir un emploi dans l’expédition d'exploration géologique qui a connu une triste fin), mais que certains contemporains considéraient Aronzon comme une alternative à Brodsky. Comme son rival. Bien des années après la mort d'Aronzon, l'écrivain et critique de Saint-Pétersbourg Vladimir Lapenkov a même noté que « ... un poète de chambre comme Leonid Aronzon n'est pas moins “universaliste” que Brodsky et son influence sur l'“école de Leningrad” de la poésie a peut-être été encore plus grande ». Intriguée, j’ai demandé à Pietr Kazarnovski si une telle comparaison pouvait se justifier.

Léonid Aronson. Sonet vide.

– Oui, il existe même une tendance à développer et amplifier cette comparaison, et il faut faire quelque chose en ce sens, m’a-t-il répondu. Le fait qu'ils étaient amis est indubitablement vrai. Le frère d'Aronzon, Vitaly, se souvient que Léonid lui a dit un jour, en présence de Brodsky : « Regarde-nous : Osia et moi sommes les deux principaux poètes de Saint-Pétersbourg ». Je ne suis pas sûr qu'il s'agissait là d'une plaisanterie. Lisant Aronzon, vous réalisez avoir affaire à une tonalité complètement différente de celle de Brodsky. Ce dernier est tout en largeur, en extension, alors qu'Aronzon est tout en compression. Chez lui, il s’agit d’explosion interne. Il est intéressant de prêter attention à une chose : pas un seul mémorialiste de Brodsky ne mentionne Aronzon. Pas un seul ! Ce silence est étrange.

Pietr Kazarnavski a confirmé mon sentiment selon lequel l’œuvre de Léonid Aronzon avait été influencée par Alexandre Pouchkine. « L'Âge d'Or est très important pour Aronzon ; il le considérait comme un paradis ». Le XIXe siècle, le paradis de la littérature russe...

De toute évidence, Léonid Aronzon était assez sûr de lui, avance-je. Pietr est d’accord. « Quand il dit Tout ce que nous travaillons à créer a été créé avant nous, il ne fait pas référence à ses prédécesseurs, mais à Dieu. Il poursuit en disant que “l'épaisse fumée de l'ignorance a tout caché” ; il parle donc de la primordialité. Il ne pensait pas avoir de prédécesseurs ; il disait “nous nous suivons”. Et qui est ce “nous” ? C'est une pluralité du “je”. Il me semble que pour Leonid Aronzon, il n'y avait pas de degrés de comparaison, tout comme il n'y avait rien de mort pour lui, et que le plus haut restait inaccessible », me dit Pietr Kazarnovski. Il tente d’expliquer cette assurance du jeune poète : « C'était un enfant de son temps. Après son retour à Léningrad au terme de l'évacuation pendant la guerre, il est passé par l'école de la vie dans la rue. C'était un sale gosse, arrogant, qui a commencé à fumer très tôt, qui avait un sens aigu de l'estime de soi et qui ne tolérait aucun diktat. Même si, apparemment, il y était lui-même enclin. Il y a quelque chose du hooligan dans sa prose. Je pense que sa femme l'a beaucoup ennobli… »

Léonid Aronson. Autoportait, vers 1966-67.

Les Juifs n'ont aucune notion du paradis et de l'enfer. Pourtant, Léonid Aronzon a créé un paradis poétique, auquel la thèse est consacrée, me dis-je et lui pose la question suivante : « Y avait-il un enfer dans son œuvre ?

– C'est une question très difficile, avoue-il. Bien sûr, la religiosité est présente dans cette œuvre : Dieu, l'âme, l'éternité. Et la mort, qui n'est pas la fin en soi. L'enfer existe-t-il ? Peut-être que l'enfer n'est que le temps. Il écrit que les matériaux de sa littérature sont l'image du paradis perverti par l'enfer artificiel créé par les hommes. Ainsi, la vie quotidienne est un enfer.

 Le paradis d'Aronzon est l'espace de l'âme, le détachement de la corporalité. « J'ai contemplé, j'ai vu, et ceci seulement », écrivait-il. Son point de vue est « de derrière ». De l’extérieur. Il se tient « le long du beau jardin », mais non dedans. Il met l'accent sur le détachement, le refus de s'impliquer dans la vie quotidienne. Il n’y a rien chez lui du devoir de citoyen propre à chacun – et surtout au poète, comme nous a appris l'école soviétique. Le paradis pour Aronzon, c'est un sens aigu de la beauté. « Je pense que pour Aronzon, la beauté est un espoir, quelque chose d'inaccessible auquel on ne peut qu'aspirer. Pour lui, la pénétration dans la beauté est infinie ; elle est sans fond et inconnaissable », confirme Pietr Kazarnovski.

Léonid Aronson avec son autoportrait.

La thèse de Pietr Karaznovski compte cinq-cents pages, divisées en treize chapitres. Mais j’ai appris qu’à l’origine il devait y en avoir un quatorzième... « C'est vrai, il aurait dû y avoir quatorze chapitres, comme les vers d'un sonnet. Le dernier devait porter sur les dessins d'Aronson ; toutefois, il n'y a pas trouvé sa place. Je peux vous dire qu’en 1966, Aronzon avait décidé d'apprendre à dessiner, et c’est un fait qu’il a même peint plusieurs portraits à l'huile, plus un autoportrait que je trouve sublime. La poésie d'Aronzon est très visuelle, il a souvent projeté dans un dessin l'idée d'un futur poème ».

Solitude - unicité - unicité - silence : telle est la chaîne que compose la poésie d'Aronzon. Le silence y est d'or, selon un proverbe populaire russe. Mais le sens de l'existence d'un poète n'est-il pas de « ne pas se taire » ? « Tel est le principal paradoxe d'Aronzon. Un de ses sonnets dit : “Il y a du silence entre tout. Un.” D'où son idée de “sonnet vide”, qui encadre le vide. C'est une forme de silence. Le mot est capable de broder au bord du vide du silence et de définir ce lieu inviolable où le portrait de Dieu – non représenté par les Juifs – devrait se trouver. Cela rappelle le “Carré blanc” de Kazimir Malevitch, qu'Aronzon n'a peut-être pas connu ; ou dont il a peut-être entendu parler. Bien sûr, nous ne parlons pas ici de “notre” vide, mais du vide des mystiques. Il y a peut-être ici un sens juif du potentiel absolu et une crainte de son incarnation, comme de son objectivation. Le vide est une contrainte constante de ne pas en dire trop. Non pas dans le sens de “ne pas parler”, mais dans celui de “ne pas prononcer en vain” ; c'est-à-dire dans la vie de tous les jours. Dans l'enfer donc ».

La fin tragique d'Aronzon reste un mystère. Était-ce là la meilleure issue pour le poète ? On l’ignore. Mais c'est de là qu'est né, dans les années 1970, le mythe d'Aronzon. Et c'est peut-être mieux ainsi. Quant à Pietr Kazarnavski, lui pense qu'il s'agissait finalement d'un accident, non d’un suicide.

Pietr Kazarvovski et le jury international © NashaGazeta


J’ai lu que le 12 octobre 2019, c'est-à-dire l'année du 80
e anniversaire de la naissance d’Aronzon et à la veille du 49e anniversaire de sa mort, à Saint-Pétersbourg, sur la maison de la Grafsky pereulok où le poète a vécu de 1963 à 1967, une plaque commémorative portant l'inscription « Au poète du Paradis Aronzon, amoureux de la beauté » avait été installée. Les initiateurs de la création et de la mise en place de cette plaque étaient, comme il est écrit, des habitants du quartier : le retraité Valery Petrov, l'enseignant Mikhail Loov et le compositeur Vladimir Rannev. Comment expliquer un tel intérêt pour ce poète loin d'être le plus célèbre ? Comment la chose est-elle compatible avec l'antisémitisme traditionnel russe ? Et surtout comment expliquer que, très vite, la plaque ait été retirée ?

« Tout est vrai en ce qui concerne l'initiative. Le professeur Michael Loov est connu dans notre ville pour son activisme », me répond Pietr. « Pour autant que je sache, la plaque n'aurait pas pu être installée sans une enquête préalable auprès des habitants de la maison – pour savoir s'ils s'y opposaient. Apparemment, ils ne se sont pas opposés. Et ce ne sont pas les habitants qui l'ont ôtée. Je ne sais pas qui l'a fait, mais c'est certainement symptomatique ».

J’espère vivement que la monographie de Pietr Kazarnovski fera l'objet d'une publication et d’une traduction. Les poèmes de Léonid Aronzon ont été traduit en allemand, mais jamais en français. Je n’ai pu résister à une tentation de vous offrir un petit avant-gout de son œuvre… au moins en traduction selon l’Intelligence artificielle !  

***
Il y a du silence entre tout. Un.
Un silence, un autre, un troisième.
Plein de silences, chaque silence
est la matière d'un filet poétique.
Et le mot est le fil. Enfilez-le dans une aiguille
et faites une fenêtre avec le mot fil.
Le silence est maintenant encadré,
c'est le filet du sonnet.
Plus la cellule est grande, plus la taille
la taille de l'âme qui y est enfermée.
Toute prise abondante sera plus petite
que celle du pêcheur qui ose oser
un filet gigantesque pour nouer un tel filet,
avec une seule maille !
(1968)

***
Sonnet vide

Qui t'a aimé avec plus d'enthousiasme que moi ?
Dieu vous bénisse, Dieu vous bénisse, Dieu vous bénisse.
Jardins debout, jardins debout, jardins debout, jardins debout dans la nuit.
Et vous dans les jardins, et vous dans les jardins, debout aussi.
J'aimerais pouvoir, j'aimerais pouvoir faire en sorte que mon chagrin
de vous le suggérer, de vous le suggérer sans troubler
votre vue de l'herbe de la nuit, votre vue de son ruisseau,
que cette tristesse, cette herbe soit notre lit.
Pénétrer la nuit, pénétrer le jardin, te pénétrer,
de lever les yeux, de lever les yeux, de comparer avec le ciel.
comparer la nuit au jardin, et le jardin à la nuit, et le jardin,
qui est plein de vos voix nocturnes.
Je marche vers elles. Mon visage est plein d'yeux...
Que tu te tiennes en eux, les jardins se tiennent.

(1969)


***
Mon Dieu, comme tout est beau !
A chaque fois, comme jamais auparavant.
Il n'y a pas de pause dans la beauté.
Je me détournerais bien, mais où ?

Parce qu’elle vient d’une rivière,
La brise est si fraîche.
Il n'y a pas de monde derrière moi :
Ce qui existe est devant moi.

(Printemps (?) 1970)

05.09.2024

Le Grand Jeu, roman d'Elena Tchijova traduit du russe par les Éditions Noir sur Blanc à Lausanne, arrive ce jour dans les librairies de Suisse et de France.

En 2015, je rencontrais Elena Tchijova, ceci pour deux raisons : la sortie en français de son roman Le temps des femmes et la participation de l'écrivaine au Salon international du livre de Genève. Eh oui, c'était encore l'époque... Cette rencontre, qui s'est transformée en interview, eut lieu dans l'appartement d'Elena Tchijova à Saint-Pétersbourg, ville où elle vit toujours. En dépit de tout.

Aujourd’hui, j’aimerai débuter la présentation de son nouvel ouvrage avec un détail généralement négligé : la date du « bon à tirer » de sa version originale russe au sein de la maison d'édition moscovite « AST / Rédaction d’Elena Shubina ». Cette date, la voici : le 26 janvier 2022. Moins d'un mois "avant" ! Si, comme moi, vous croyez qu’en littérature il n'y a pas de coïncidences, alors ce roman peut être considéré comme un prologue et un marqueur de ce qui s'est passé par la suite. Dans les faits, l'action débute « par un sombre matin de mars balayé de vents mauvais " ; ou, plus précisément, le 18 mars 2014 – jour de « l'annexion de la Crimée » pour certains personnages et lecteurs, et de « l'acceptation de la République de Crimée au sein de la Russie » pour d'autres.



Ce dualisme, qui traverse tout le récit, est à la fois appliqué par l'auteur à la société russe dans son ensemble et à chacun de ses personnages principaux. Ils sont trois, ces protagonistes ; trois représentants de générations différentes : l'ancienne institutrice Anna Petrovna, qui, devenue retraitée, travaille comme femme de ménage pour joindre les deux bouts ; son fils Pavel, vingt-cinq ans, un geek typique qui vit sur Internet ; et la mère d’Anna, Anastasia Dmitrievna, une "momie" ayant survécu au siège de Leningrad. Dans l’entretien qu’elle m’avait accordé il y a près de dix ans, Elena Tchijova m’avait dit que « les grands-mères qui ont élevé d'une manière ou d'une autre les jeunes de vingt ans d'aujourd'hui sont toujours en vie. Et en général, les réalités russes d'aujourd'hui ne sont pas radicalement détachées des réalités soviétiques ». Dans son nouveau roman, elle vient de confirmer cette thèse, définissant par là même la tendance à l'incompréhension croissante, à la perte d'intérêt et à une "lecture" très différente de la réalité par ces générations qui se sont croisées dans le temps et dans l'espace.

Commençons par le titre dont la traduction texto serait : Le seigneur des choses. Qu'entendront les représentants de l'ancienne génération ? Avec un peu de chance, La Faculté de l’inutile de Iouri Dombrovski, voire peut-être Le Dieu des petits riens, magnifique premier roman de l'écrivaine indienne Arundhati Roy, traduit en russe il y a longtemps. Et la génération de Pavel ? Sans aucun doute, La guerre des trônes et Le seigneur des anneaux, dans une version ludique et non littéraire.

Partant probablement d’une affirmation populaire en URSS qui veut que « les enfants sont notre avenir », Marianne Gourg Antuszewicz, la traductrice française, a penché pour la lecture de Pavel et a intitulé le roman Le Grand Jeu. Un titre parfaitement approprié, non seulement parce que les jeux occupent une place importante dans l’ouvrage, mais aussi parce qu'il introduit une autre référence : celle du talk-show de propagande du même nom sur la chaîne de télévision russe Channel One, animé par des messieurs jouant à un mauvais jeu. (Le fait que cette émission soit apparue plusieurs années après les événements décrits dans le roman n'en change pas l'essence).
 
La présence du dualisme s’y trouve à ce point importante et tangible qu'on ne peut s'empêcher de vouloir établir deux colonnes en sorte d’y noter les signes d'une des réalités – et les références à celle-ci – dans la première, et les autres dans la seconde. Tout cela pour ensuite mieux voir si elles vont se croiser… surtout dans la perception des lecteurs, y compris russophones !

Les lecteurs de la première catégorie avanceront dans le texte, s'arrêtant de temps à autre pour s'extasier de joie lorsqu'ils "trébucheront" sur une pierre d’un poème de Mikhaïl Lermontov placée dans la main d'un mendiant, ou pour se laisser étourdir par le parfum et les brumes de l'Étrangère d’Alexandre Blok sur les traces de la Belle Dame… de Blok, elle aussi. (Cette Belle Dame, soit dit en passant, est explicitement nommée par l'auteur, mais ce nom ne dira rien aux lecteurs de la deuxième catégorie, qui ne connaissent pas son nom et ne veulent pas le connaître). Se souvenant de la consigne de Mikhaïl Boulgakov de ne pas parler aux étrangers, les "premiers" se méfieront de l'apparition d'un étrange voisin dans l'appartement vide du dessus de celui de nos trois personnages – et, en cela, ils « croiseront le chemin » des "seconds" et de Pavel, qui n'a guère lu Boulgakov, mais qui, en raison de son séjour constant dans la réalité virtuelle, a perdu les compétences de base de la vie en société : il préfère ne parler à personne ; juste être laissé à lui-même. Le sens de sa vie est dans le jeu, si bien que peu à peu le "fake" se mélange à la réalité au point qu'il ne les distingue même plus. Dans ce jeu, il veut être le seigneur. Il n'accepte aucun autre rôle.

Le dualisme se retrouve non seulement dans les personnages bien "vivants" du roman, mais aussi dans les objets : dans le grand et vieil appartement de Saint-Pétersbourg, la pauvreté côtoie les antiquités, parmi lesquelles l'attention du lecteur est attirée avec insistance vers la lampe de bronze où figure un ange. Un détail ayant toute sa raison d’être. Les "squelettes", quant à eux, sont bien cachés dans une chiffonnière dont la clé reste perdue. Même la garde-robe d'Anna est divisée : une doudoune chinoise achetée sur un marché aux puces et des fringues à la mode, acquis dans un moment d'impulsion désespérée au sein d’un magasin de luxe. Quant à sa vie, elle se fissure, quelle que soit la robe qu'elle porte. Ses rêves d'un partenaire idéal se brisent sur une conclusion brutale, consécutive à l’évaluation des candidats disponibles sur le marché : « Qu’est-ce que je peux bien avoir à faire d’un type pareil ? ». Ce marché là est un marché aux puces, lui aussi.

L'antique chiffonnière, avec ses secrets, est le trésor d'Anastasia Dmitrievna, et le personnage lui-même est un vrai cadeau d'Elena Tchizhova aux amateurs de classiques russes – classiques qu'ils peuvent savourer tout en observant l’évolution du personnage. Au début, cette héroïne ne peut que susciter l'indignation : c'est une véritable Kabanikha, la méchante belle-mère de L’Orage d'Alexandre Ostrovski, à la différence près qu'elle n'est pas la belle-mère d'Anna, mais sa propre mère. Mère comme mère-patrie. Une mère qui se moque franchement de sa fille. Et la fille, qui n'éprouve plus d'amour pour sa mère depuis longtemps et qui est tourmentée par la question de savoir pourquoi cette mère ne l'aime pas, continue néanmoins à s'occuper d'elle, à satisfaire tous ses caprices et à l'appeler « la petite maman ». Tout ici est clair : d'un côté, le bourreau, de l'autre, la victime. Mais Pavel aime la vieille femme, même s'il ne l'appelle pas “grand-mère” ou “mamie”, mais la traite plutôt en vieille sorcière. Il est attiré par son "mystère", ce qui ne l'empêche pas de faire discrètement main basse sur toutes ses économies.

Eh bien, lecteurs, vous les reconnaissez ? Je vous ai donné tant d'indices… Bien sûr ! Sous nos yeux, Anastasia Dmitrievna se transforme en vieille comtesse, en Dame de Pique, et pour que l'image soit complète elle fait également un clin d'œil à Pavel déçu au moment le plus dramatique. Il s'avère qu'elle aussi est victime à sa manière, car dans ses moments de confusion mentale de plus en plus fréquents, elle ne voit pas les bals mondains de sa jeunesse, mais les des scènes effrayantes où il est question de ravins. De champs de tir. Des souvenirs hantés par différents fantômes : celui du comte de Saint-Germain pour la comtesse, et pour Anastasia Dmitrievna, d’un homme aux lunettes, sans nom, qui s'est un temps pris pour le Seigneur, mais s'est avéré être un simple saltimbanque. Enfin, son petit-fils Pavel est bien sûr Hermann, obsédé par une soif d'argent qui le pousse au crime. Sans le moindre romantisme. On s'attend à ce qu'il chante d’une voix de ténor puissante et dramatique :
La vie est un jeu
Le bien et le mal ne sont que des rêves.
Le travail et l'honnêteté sont des contes de fées pour les femmes,
Qui a raison et qui est heureux ici, mes amis,
Aujourd'hui toi et demain moi !

Souvenez-vous d'ailleurs comment commence l'opéra de Tchaïkovski : dans le prologue les garçons jouent à la guerre, et dans la première scène les adultes discutent d’un jeu de cartes de la veille. C'est aussi ainsi, au commencement de notre vie, à l'âge du jardin d'enfants, que nous nous forgeons la notion de Patrie : avec des poèmes sur la guerre et des jeux de guerre. Or dans ces jeux, personne ne veut être perdant. « Que le perdant pleure, maudissant son destin ! », Hermann en tire la conclusion.

Pavel n'est dégrisé que lorsque ses oreilles entendent, non pas des tireurs à l'écran, mais la menace réelle de la mobilisation, ou le “craquement” de son propre destin - expression si parlante d'Elena Tchijova que je me suis permise de l’emprunter pour intituler cette chronique. Tout comme Hermann, Pavel ne tue pas « la vieille » pour de vrai mais elle meurt tout de même. On peut dire que Pavel a eu de la chance ; il n'est pas devenu un meurtrier ; il a accompli la volonté testamentaire de sa grand-mère – à la fois appel à l’aide et menace d’anathème. Qui plus est, il a réussi dans sa vie. Mais pour cela, il a dû quitter le pays ; abandonner sa mère et sa patrie. Sa femme bien-aimée, elle, est morte très jeune d'une leucémie.

Son sort était-il pitoyable, comme déclare Hermann au final de l’opéra ? Peut-il être considéré comme une victime, lui aussi ? Et qu’est-ce qui court dans notre sang à tous ? Est-il pour de vrai empoisonné ?

L'ange Gabriel, icône byzantine. © Galerie Tretiakov, Moscou


Si c'est le cas, n’y a-t-il alors que des victimes ? Est-ce la raison pour laquelle Gabriel, dont le nom se traduit littéralement par « la puissance du Seigneur » et qui, selon l'Ancien Testament, vient en tant qu'ange de la mort – en tant que messager du « Jugement suprême », après les Justes –, arrive dans le récit, un couteau parfaitement droit en main ? Même un ange porte un couteau ! Et quel est donc le lien entre cet ange et celui de la lampe en bronze ? Dans l’Ancien Testament, c’est aussi Gabriel qui révèle au prophète Daniel les secrets de l'avenir, dont le sens peut parfois être deviné sans le secours des anges ; simplement en analysant le passé.

Mais enfin, tout le monde ne peut être victime ! Il faut bien un coupable ! Ou bien tous le sont-ils ? N'est-ce pas là l'ultime dualité pour laquelle l’auteur a inventé le mot lolitva, composé en russe de deux mots : lovlia (“pêche”) plus molitva (“prière”), traduit en français par « pêche quotidienne » ? – ce qui n’est qu’à moitié juste car la partie “prière” se perd ainsi.

Le livre d'Elena Tchizhova est merveilleusement stratifié ; il est plein d'allusions, de sous-entendus et de non-dits – ce qui en rend la lecture encore plus fascinante, obligeant le lecteur à être constamment sur ses gardes.

Je suis certaine que vos avis seront partagés sur de nombreuses questions et sur les réponses proposées, mais je vous conseille sincèrement de lire ce livre ! Si Olivier Py l'avait lu, il n'aurait peut-être pas mis en scène La Dame de Pique comme il l'a fait il y a quelques années. Mais qui sait… Peut-être se trouvera-t-il un metteur en scène talentueux pour monter ce chef-d'œuvre de Pouchkine et de Tchaïkovski tel qu'interprété par Elena Tchijova ? À mon avis, ce serait là vraiment intéressant.

Et une bonne nouvelle pour terminer. Le 28 août à la librairie Delamain (Paris) les prix du magazine Transfuge ont été remis. Lancé en 2015, le prix Transfuge accompagne les rentrées littéraires de l’automne et de l’hiver en décernant 9 prix allant du meilleur roman français au meilleur livre scène, en passant par les meilleurs romans anglo-saxons, russes et d’Amérique latine. Et le gagnant du Prix Transfuge du meilleur roman russe 2024 est… Le grand jeu d’Elena Tchijova. Toutes mes félicitations !  

P.S. Pour vous remercier d’avoir joué le jeu, je vous offre deux bonus : une interview d’Elena Tchijova enregistrée par Antoine Cattin, et l'Air d'Hermann de La Dame de Pique interprété par Vladimir Atlantov.


 

 
 

05.08.2024
Pavel Kushnir (1984-2024)(DR)

Chers lecteurs, il y a quelques jours, je vous ai donné rendez-vous en septembre ; mais l’actualité est telle que je me sens contrainte de rompre ce vœu de silence mensuel.

 Combien je suis heureuse qu’il ait eu lieu, l’échange des prisonniers entre la Russie et l’Occident – échange tant attendu et cependant inespéré dans la mesure où nous ne croyons plus aux bonnes nouvelles. Heureuse aussi qu’il a eu lieu un 1er août, le jour de notre fête national. Dommage seulement que la Suisse n’y ait été pour rien. Qu’elle n’ait pas pris part à ce grand coup diplomatique plus marquant – et certainement moins couteux, à mon humble avis – que certaines de ses initiatives dites “pacifiques”.

 Cet événement heureux, tous les médias du monde l’ont couvert, qui ne se sont pas privés de tout bien vous expliquer : les méchants et les gentils ; les conséquences probables, possibles et tout à fait fantasques… Je ne vais donc pas joindre leur cœur.

 Je tiens à vous parler d’un autre événement qui s’est produit quelques jours auparavant et est passé inaperçu, loin des projecteurs. Le 27 juillet 2024, au Centre de détention provisoire de Birobidjan est mort Pavel Kushnir, un pianiste de trente-neuf ans.

 Que je sache, il n’avait pas de lien de parenté avec Boris Kushnir, le célèbre violoniste. Vous ne pouviez pas voir son nom sur les affiches de Victoria Hall ou du Verbier Festival ou de celui de Gstaad. Et pourtant, il existait.

 Sa page sur le Wikipedia russe – qui vient de paraître et dont certains, en Russie, exigent déjà qu’elle soit supprimée – est des plus courtes. Pavel Kushnir est né le 19 septembre 1984 à Tambov, une petite (selon les mesures russes) ville d’à peu près 300 000 habitants, mais la plus grande ville de Russie à n’être pas contrôlée par Russie unie, le parti de Vladimir Poutine. Très jeune, dans une école locale, il a commencé à apprendre le piano.

 Ayant terminé ses études dans un collège de musique de Tambov – collège qui porte le nom de Sergueï Rakhmaninov, une autre âme torturée –, il est entré au Conservatoire de Moscou, l’établissement le plus prestigieux du pays dont le diplôme terminal garantit un avenir professionnel radieux. Ce diplôme, Pavel l’a obtenu en 2007 ; toutefois, plutôt que « faire carrière », il a préféré retourner en province, dans la « Russie profonde », afin d’y enseigner la musique et de l’interpréter.

 En 2023, Pavel est devenu soliste de la Philharmonie de Birobidjan, cette ville tragi-comique, centre administratif de l'Oblast autonome juif de Russie, dont la population ne dépasse pas 80 000 habitants. À propos de cette ville, voici trois faits intéressants :

– située sur le tracé du Transsibérien, sa construction, qui remonte à la fin des années 1920, fut supervisée par le directeur du Bauhaus, l'architecte suisse Hannes Meyer ;

– en 1945 et en coopération avec l’Ambidjan (l’American Birobidjan Commitee instauré en 1934 aux États-Unis pour soutenir le développement économique de la première région juive créée au monde), Albert Einstein crée le Fonds Einstein en sorte d'y installer 30 000 orphelins juifs victimes du nazisme. Chaque famille juive allemande, lituanienne, polonaise et roumaine y reçoit alors 350 dollars négociés entre le gouvernement soviétique, le ministre des Affaires étrangères Tchitcherine et Jacob Budish, un communiste américain ;

– en 1928, la région avait bien été désignée par le régime soviétique comme la future « Palestine sibérienne » des juifs ; ils y auraient été jusqu'à 150 000 à s'y établir ; mais les sujets de cette colonisation s’étaient rapidement raréfiés. En 2020, les juifs de Birobidjan représentaient le 2 % de la population.

Si vous êtes désireux d’en savoir davantage, je vous invite à lire L’inconnue de Birobidjan de Marek Halter. Quant à moi, j’en reviens à Pavel Kushnir.

Bien avant de s’installer dans ce lieu que borde le fleuve Amour, il avait créé, en 2011, une chaine YouTube. Sans grand succès, peut-on dire : en treize ans d’existence, seules cinq personnes s’y sont inscrites. Cinq ! Mais voilà qu’à partir du mois de novembre 2022, Pavel y publie quatre vidéos dans lesquelles il se permet de critiquer – en vers, s’il vous plait ! – la politique du gouvernement russe, ses lois et l’agression de l’Ukraine. Son audience de cinq personnes fut alors jugée suffisamment importante par les autorités pour qu’elles l’accusent d’« appels publiques à des activités terroristes » et le jettent en prison.

Regardez sa photo : il est maigre, pale, il porte des lunettes… Un artiste, quoi. Mais il a eu le courage d’entamer une grève de la faim « à sec » – c’est-à-dire sans nourriture et sans eau. Selon les avis médicaux, cette grève aurait dû durer huit à dix jours. Elle n’en a duré que cinq. Et il en est mort.

Voici l’exemple d’un pur Sacrifice. Pur, car non médiatisé. Pavel Kushnir n’était pas assez important pour qu’on l’échange contre quelqu’un d’autre. Peu importe, qui.

 Se trouvera-t-il un nouveau Roman Polanski pour tourner un film sur ce Pianiste-là ? En attendant l’éventuel Godot, je fais aujourd’hui appel à tous les musiciens parmi mes lecteurs ; aux promoteurs de concerts et organisateurs des festivals, si nombreux en Suisse pour rendre hommage – post-mortel, tout au moins – à Pavel Kushnir, incarnation de tous les artistes qui meurent pour une cause qui leur est chère.

 Pour l’instant, je vous invite à regarder et entendre Pavel Kushnir interpréter les Préludes de Rakhmaninov. En silence.

A PROPOS DE CE BLOG

Nadia Sikorsky a grandi à Moscou, où elle a obtenu un master de journalisme et un doctorat en histoire à l’Université d’Ètat de Moscou. Après 13 ans au sein de l’Unesco à Paris puis à Genève, et exercé les fonctions de directrice de la communication à la Croix-Verte internationale, fondée par Mikhaïl Gorbatchev, elle développe NashaGazeta.ch, quotidien russophone en ligne.

En 2022, elle s’est trouvée parmi celles et ceux qui, selon la rédaction du Temps, ont « sensiblement contribué au succès de la Suisse romande », parmi les faiseurs d’opinion et leaders économiques, politiques, scientifiques et culturels – le Forum des 100.

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