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L’accent russe | Le blog de Nadia Sikorsky

29.05.2024
Photo © N. Sikorsky/Nashagazeta

Mon amour de l'opéra m’éloigne de plus en plus du Grand Théâtre de Genève, dont je sors presque toujours avec un sentiment de légère (ou pas si légère) insatisfaction, et m’approche de l'Opernhaus Zürich, où, au contraire, le plaisir est presque toujours garanti. Et si, au début, se rendre à Zurich pour une représentation semblait être une véritable entreprise, c'est maintenant devenu une habitude. En plus, les trains suisses sont si agréables pour y travailler !

Récemment, j’ai eu le plaisir d'assister à une représentation de « Carmen » dans une mise en scène d'Andreas Homoki et sous la direction musicale de Gianandrea Noseda - la possibilité d'observer l'orchestre et son chef depuis une loge a été un bonus supplémentaire. Il convient d'ajouter que cette production a été réalisée en collaboration avec l'Opéra Comique de Paris, où elle a été jouée l'année dernière, et où « Carmen » a été créée en 1875.

Je ne vais pas vous insulter en reprenant le sujet de cet opéra le plus populaire au monde, dont les mélodies nous accompagnent partout, y compris dans les ascenseurs et sur les répondeurs, en remplacement de "an operator will be with you shortly". 

La scénographie du spectacle est assez minimaliste, le point le plus lumineux sur scène étant le trou "doré" du souffleur. Le scénographe Paul Zoller s'est inspiré de la salle de l'Opéra Comique elle-même, avec ses murs en briques rouge et marron et ses poutres en acier peintes en gris foncé. Mais il n'y a besoin de rien d'autre : le "mobilier" superflu ne détourne donc pas l'attention des interprètes, et l'intemporalité de l'intrigue sur fond d'époques changeantes est transmise discrètement - simplement par le changement de costumes, qui passent des habits traditionnels au début de la représentation aux très modernes à la fin.

Gianandrea Noseda à sa place © N.Sikorsky/NashaGazeta

D'autres nuances qui relient l’action à notre époque sont subtilement insérées dans la production. Tout d'abord, l'affiche – avec l'image d'un cigare. Certes, Carmen et ses copines travaillent dans une fabrique de cigares, mais une autre image aurait pu être choisie. À mon avis, ce choix n'est pas fortuit : comme les filles qui fument sur scène, il s'agit d'un défi lancé à la société qui lutte contre le tabac, un défi qui n'est pas moins fort que ne l'était Carmen elle-même à la fin du 19e siècle.

Un autre moment a attiré mon attention. Au premier acte, lorsque Micaëla apparaît à la recherche de Don José, elle est entourée, comme vous vous en souvenez, de jeunes hommes qui commencent non pas à la molester, mais à flirter de plus en plus ouvertement. Et soudain, le plus actif d'entre eux, Moralès (le baryton arménien Aksel Daveyan) se plie en deux : le coup qu'il a reçu sur ses parties génitales de la part de la timide Micaëla, dans sa robe grise avec une croix rouge sur la poitrine, l'a surpris, lui et le public. À notre avis, cette allusion à l'émancipation féminine et au thème actuel du harcèlement sexuel est suffisante, pas besoin d’aller plus loin.

Je me suis rendue à Zurich tout d'abord pour Marina Viotti - l'ayant entendue en concert il n'y a pas si longtemps, j’étais sûre que le rôle de Carmen était pour elle.  La mezzo-soprano née en Suisse et élevée en France était au sommet de sa forme, tant sur le plan vocal qu'artistique : son allure spectaculaire, son tempérament et sa plasticité étaient au rendez-vous.

J’ai aussi beaucoup aimé la soprano moldave Natalia Tanasii dans le rôle de Micaëla. Natalia est bien connue du public zurichois, puisqu'en 2017-2019, elle était membre de l'International Opera Studio du théâtre. Les récentes prestations de Natalia comprennent le rôle de Mimì dans La Bohème à l'Opéra national de Hambourg et au Théâtre national de Prague.

Le ténor albanais Saimir Pirgu dans le rôle de Don José était tout à fait à la hauteur ; ce personnage est la personnification de ce qui arrive aux bons garçons qui n'écoutent pas les conseils de leurs mères !  Frasquita (Uliana Alexyuk, née en Ukraine et formée au Studio d'opéra du Théâtre Bolchoï de Moscou) et Mercédès (l'Irlandaise Niamh O'Sullivan) ont également fait honneur au spectacle – avec Marina Viotti, elles formaient un excellent trio.

La seule ombre au tableau était peut-être, malgré le magnifique costume de toréador, le baryton-basse polonais Łukasz Goliński dans le rôle d'Escamillo. J’ai également regretté l'absence de danses dans le deuxième acte, où la musique ne fait que suggérer leur nécessité. Mais cela n'a pas gâché le sentiment général très agréable, léger et joyeux de la représentation, que vous aurez encore le temps de voir en commandant des billets sur le site du théâtre.

23.05.2024

Les pages reproduites dans cette chronique ne proviennent ni des archives secrètes du NKVD des années 1930, ni de celles du KGB des années 1970, ni même de celles de l’actuel FSB. Non, elles sont extraites de la biographie de Pier Paolo Pasolini, le grand cinéaste, poète et écrivain italien assassiné dans la nuit du 1 au 2 novembre 1975 sur la plage d’Ostie – ceci pour des raisons toujours non élucidées. Du moins : de la récente traduction russe du livre de Roberto Carnero Pasolini, Morire per le idee (« Mourir pour les idées » - ciao, Georges Brassens !) publié par une maison d’édition moscovite AST. Ceci avec, à la clé, des dizaines des pages biffées à l’encre noir.

En dépit d’une enfance passée au sein de l’Église catholique, Pasolini a « mal tourné » : il est devenu marxiste, communiste dans ses opinions politiques et homosexuel dans sa vie privée. Ce mélange a plus d’une fois épaté ses admirateurs comme ses détracteurs… fait qui, de toute évidence, fut également le cas de l’éditeur russe en question – lequel explique les « pages noires » au moyen de la nouvelle législation en cours. On peut comprend sa prudence. Effectivement, le 30 juin 2013 le texte de la loi sur L'interdiction législative de la propagande homosexuelle en Russie auprès des mineurs a été ratifié par le président Vladimir Poutine. Depuis son entrée en vigueur la même année, le nombre de crimes haineux ciblant la population LGBT de Russie a été multiplié par cinq. En novembre 2022, cette même loi a été étendue en sorte de concerner également les personnes majeures, interdisant ainsi la « propagande » des « relations sexuelles non traditionnelles » et le « déni des valeurs familiales ». Pour rappel, cette nouvelle législation a un antécédent : le 2 février 1934 la loi anti-homosexuelle était introduite par Joseph Staline ; le 1 avril de la même année l’article correspondant était ajouté dans le Code pénal – l’acte consensuel devenant punissable de 3 à 5 ans d’emprisonnement, tandis que l’acte forcé était passible, lui, de 5 au 8 ans d’emprisonnement. Du fait même de cette loi, la biographie de Piotr Ilych Tchaïkovsky écrite par Nina Berberova dans les années 1930 ne devait être publiée en Russie qu’après l’arrivée au pouvoir de Mikhaïl Gorbatchev.

Bonheur que toutes ces lois et tous ces ordres qui épargnent responsabilité de leurs exécuteurs !

Ce qui se passe aujourd’hui dans le monde littéraire russe qu’on sait être le creuset d’une grande, immense, littérature est abominable. De nombreux écrivains déclarés « agents de l’étranger » ont dû opter pour l’exil. D’autres sont persécutés – dans leurs personnes ou à travers leurs ouvrages.

Natalia Troukhanovskaya, rectrice de l’Institute Pouchkine, a ainsi recommandé aux étudiants et doctorants « d’étudier plutôt des auteurs qui n’ont pas affichés de positions antirusses ». Cette mesure affecte Lioudmila Oulitskaya, une des écrivaines russes les plus connues au monde : ses livres ont disparu des librairies moscovites. La réaction de cette « agente étrangère » actuellement établie à Berlin a été formidable : « Natalia Troukhanovskaya a absolument raison : ce n’est pas la peine de compliquer sa propre vie, ni celle des étudiants ».

L’étude comparative du programme de littérature pour les lycéens russes a mis en valeur la liste des œuvres biffées. Après 1984 d’Orwell, L’étranger de Camus, le Brave New World de Huxley et La Métamorphose de Kafka, ce sont Vie et destin de Vassili Grossman, La Maison du Quai d’Iouri Trifonov, les Récits de la Kolyma de Varlam Chalamov, Omon Ra de Victor Pelevin et les poèmes de Dmitry Prigov, ardent critique du réalisme socialiste, qui se sont évaporés. Par miracle, les livres d’Alexandre Soljenitsyne sont préservés. Pour l’instant…

D’autre part, l’opus intitulé La Chute d'un empire : la leçon de la Russie, de Tikhon Chevkonov, évêque de l’Église orthodoxe russe et confesseur personnel présumé de Poutine, a été rajouté, one me dit, à la liste des lectures obligatoires.

A tous ceux parmi vous qui ne parviennent pas à comprendre ce qui se passe aujourd’hui en Russie, je recommande de lire tous ou partie de ces livres mis à l’index. A tous ceux qui ne parviennent pas à comprendre ce qui se passe en France voisine et qui s’importe en Suisse, je recommande Soumission de Michel Houellebecq, paru le 7 janvier 2015 ­­– le jour de l’attaque lancée sur la rédaction de Charlie Hebdo. Il n’y a pas de coïncidences dans la littérature : lisez donc ce livre, le temps qu’il ne soit pas lui aussi interdit.

Tous les fanatiques, tous les régimes arbitraires ou totalitaires ont toujours redouté la bonne littérature et ils en auront toujours peur car la bonne littérature possède le don de la prophétie et le pouvoir d’un jugement ultime. Pourvu seulement qu’elle soit lue !

PS La semaine dernière, Fred Dewilde, artiste de BD, survivant du Bataclan, s'est suicidé. «Ses démon, ses traumas qu'il essayait d'exorciser depuis 2015 par son art, par ses témoignages, auront eu raison de lui», ont écrit ses amis dans les réseaux sociaux. 

16.05.2024
Boris Pilniak (1894-1938)

Les Éditions Noir sur Blanc à Lausanne étoffent leur collection « La bibliothèque de Dimitri » au moyen d’une traduction mise à jour de L'Acajou de Boris Pilniak.

Je ne peux pas dire que Boris Pilniak est mon écrivain préféré. Ni que L'Acajou est mon œuvre préférée de cet auteur extrêmement prolifique, prénommé Berngard Vogau à sa naissance – son père étant un descendant de ces mêmes Allemands de la Volga auxquels est consacré le roman Les enfants de Volga de Guzel Yakhina. Toutefois, dans le contexte actuel, avec ce qui se passe en Russie – y compris dans la Russie littéraire ! –, on doit reconnaître qu'attirer l'attention des lecteurs européens sur ce roman est tout à fait opportun. Et cela non pas tant en raison de son contenu que du rôle qu'il joua dans le destin de son auteur.

Pour Boris Pilniak, tout allait bien. À tel point qu'en 1924, dans une série de conférences intitulées « Sur les fondements du léninisme », Staline lui-même le mentionnait plutôt favorablement en tant qu'auteur de L'Année nue, une œuvre qui reflétait certains « phénomènes négatifs au sein du parti ». Que Pilniak ait été étourdi par le succès, ou qu'il se soit agi d’un hasard, en 1926 il met un point final à son Conte de la lune non éteinte, récit basé sur des rumeurs relatives à l’assassinat de Mikhaïl Frounzé… non sans la participation de Staline. Deux jours seulement après sa parution, la livraison de la revue Novy Mir (« Nouveau monde ») dans laquelle le texte parait est retirée de la vente. Pilniak, toutefois, s'en tire avec une « petite frayeur », comme on dit en russe : un violent article dirigé contre lui et son œuvre dans le numéro suivant du même Novy Mir. Rien de plus. En outre, en janvier 1927, la décision prise un an plus tôt de l'écarter de trois magazines littéraires est annulée. Et en 1929, il prend la tête de l'Union panrusse des écrivains.

C'est donc alors qu’il occupe ce poste important que Pilniak publie, cette même année 1929, L’Acajou, une nouvelle qui va provoquer un terrible scandale. Non pas, notons-le, en raison de l'essence même de l'œuvre, mais parce qu'elle vient d’être publiée par la maison d'édition de langue russe Petropolis dont la rédaction, dès 1922, a choisi de déménager de Saint-Pétersbourg à Berlin… ayant réussi, juste avant son départ, à faire paraître l’ultime recueil de Nikolaï Gumilev, paru du vivant du poète qui allait être fusillé le 21 aout 1921. Auparavant déjà, à Berlin, cette maison d'édition avait entre autres publié Tristia, un recueil de poèmes d'Ossip Mandelstam, Kolchan et À l'étoile bleue de Nikolaï Gumilev, des ouvrages d'Evgueni Zamiatine et bien d'autres encore.

Apparemment, Boris Pilniak n'a pas réalisé à quel point son pays a changé en très peu d’années : ce qui était acceptable en 1926 ne l'est plus en 1929. Une pluie de critiques s'abat donc sur lui, à laquelle participe jusqu’à Vladimir Maïakovski, et le seul fait que le livre ait été publié à l'étranger est assimilé à une trahison de la patrie (aujourd'hui, Pilniak serait certainement considéré comme un « agent de l'étranger »). En dépit de tout, Pilniak survit, bien qu'il soit démis de ses fonctions de président de l'Union panrusse des écrivains – laquelle Union est d’ailleurs bientôt liquidée en qualité d’organisation antisoviétique. Contrairement à Evgueni Zamiatine, l’auteur de Nous autres, un roman publié à Prague en 1929, destiné à fait scandale en Union soviétique et à inspirer à George Orwell son 1984, Pilniak ne va pas réussir à quitter son pays. Il n'échappe pas non plus à son funeste destin : le 28 octobre 1937, le voici arrêté pour association avec des trotskystes. Pilniak a beau fermement nier pareille accusation, il finit par avouer – sous la torture – travailler pour les services secrets japonais. Le 21 avril 1938, le collège militaire de la Cour suprême de l'URSS le reconnait coupable d’espionnage en faveur du Japon ; condamné à mort pour trahison, il est fusillé le même jour à Moscou, sur le tristement célèbre champ de tir Kommunarka. Précisons pourtant que, pour Pilniak, le début de sa fin tragique avait débuté avec L'Acajou. Ses quelques 40 pages avaient décidé de son destin.

Dans les commentaires de cette œuvre, il est souvent relevé que cette histoire conte comment les idéaux de la révolution furent brisés par la vie quotidienne sous la Nouvelle politique économique (NEP) instaurée en Russie en 1921 ; il est également noté qu'elle n'aurait pas dû être écrite en 1929. Peut-être bien qu’elle n'aurait pas dû être écrite, mais son thème principal me parait être autre : cette histoire montre la Russie comme un pays de fous de Dieu, voire d’imbéciles, propageant les idées les plus délirantes et y croyant eux-mêmes, vivant dans la pauvreté, buvant beaucoup d’alcool, divaguant sur des idées « en retard pour le train du temps ». Autant d’imbéciles que Pilniak les appelle les « bretzels de la vie quotidienne » (je me permets de croire que cette traduction est plus juste que « pâtisseries torsadées »).

Dans cette nouvelle, de nombreuses influences littéraires et autres sont immédiatement perceptibles : du Boris Godounov de Pouchkine, et de Moussorgski qui, dans son opéra, attribua un rôle si important à ce yourodivi, ce fol-en-Christ – aux Douze chaises d'Ilf et Petrov, publiées seulement deux ans plus tôt. Ne comptant apparemment pas sur le degré d'éducation de son lecteurscontemporain, Pilniak lui « mâche » tout le travail : à l’attention de qui n'a pas deviné que la ville où le tsarévitch Dimitri a été assassiné, ce « Bruges russe et Kamakura russe », est Ouglitch, le meurtrier Godounov, qui a enlevé la cloche de la tour de Spasskaïa, est directement mentionné à la fin de l'histoire. Sous le son des cloches retirées des églises, la ville vit aussi au XXe siècle, et ce tintement constant est l'une des raisons de la folie générale. Et le fait qu'Ostap Bender soit l'un des prototypes est clairement indiqué par le désir des frères Bezdetny (« sans enfants ») – ces "antiquaires" qui venaient dans la ville afin d’y acheter pour rien des meubles en acajou aux bourgeois ruinés – de collecter au moins la moitié de l'"ensemble". Gogol et ses noms de famille si parlants ne sont pas en reste : les anciens révolutionnaires qui rêvaient d'« allumer le feu de la révolution » s'appellent Ognev, Pozharov et Ozhogov – autant de noms qui dérivent du « feu ». On trouve aussi une allusion à Boulgakov – ce à travers les membres de la famille Skudrin qui se sont retrouvés de part et d'autre des barricades révolutionnaires –, et même à La Mouette de Tchekhov : Ozhogov, buvant de la vodka, parle à ses « camarades » de gens qui volent comme des oiseaux ; comme des aigles. Un clin d’œil au célèbre monologue de Nina Zarechnaïa !

La raison de ma chronique de ce jour étant la réédition de L’Acajou en français, je me dois de mentionner l’extrême difficulté propre à son style. Je n’évoque pas seulement la langue imagée de Boris Pilniak (exemple : « Kitaïgorod à Moscou était le fromage à vers des fols »), mais également l'abondance d'archaïsmes qu’il recèle. Ainsi, voici ce qui attend le lecteur au tout début de la nouvelle :

« Miséreux, devineux, mendigots, psalmodieurs d’antiennes, cagoux, errants, errantes, indigents, cagots, coquillards, prophètes, idiotes, idiots, fols-en-Christ, autant de synonymes, autant de pâtisseries torsadées et coutumières de la sainte Russie, gueux par la sainte Russie, stropiats ou aveugles diseurs de pieuses complaintes au nom du Christ, fol-en-Christ de la sainte Russie, ces pâtisseries torsadées ont orné depuis la naissance de l’État russien, depuis les premiers tsars, les Ivan, les us et coutumes d’un millénaire de Russie. Maintes et maintes fois historiens, ethnographes et écrivains russes ont trempé leur plume pour parler de ces innocents. Ces fous ou charlatans, les mendigots, les cagots, les prophètes, étaient considérés comme l’ornement de l’Église, la confrérie christique, les intercesseurs de l’univers, pour reprendre les termes de l’histoire et de la littérature classique ».

Ouuff ! Je vous assure que même un lecteur russophone doit se concentrer – voire consulter un dictionnaire – s’il veut tout comprendre.  

Le texte, toutefois, a été traduit et préfacé par Jacques Catteau, professeur à la Sorbonne et l'un des plus grands spécialistes français de la littérature russe. Il ne fait donc aucun doute que les lecteurs francophones comprendront tout… et auront une devinette de plus à ajouter à la tirelire des énigmes de l'âme russe.

08.05.2024

Je vous présente aujourd'hui Les Puits de Nuremberg, un roman publié en français par les Éditions Noir sur Blanc à Lausanne.

Il m’est très difficile d'écrire sur ce livre. Surtout ces jours, quand l'Europe célèbre la fin de la Seconde Guerre mondiale et la Russie fête la fin de la Grande Guerre patriotique. À l'heure où les guerres en Ukraine et au Moyen-Orient se poursuivent. Mais il est également impossible de ne pas en parler. Surtout ces jours…

Son auteur est un écrivain et journaliste polonais, Emil Marat. Philosophe de formation, il est diplômé de l'Université de Varsovie – fait qui, sans doute, a joué un rôle dans son approche de l'histoire de son pays. Une approche philosophique. Les thèmes de la trahison et de la vengeance, deux leitmotivs de son roman, s’avérant aussi importants en littérature qu'en philosophie.

Il n'est de pire péché que la trahison. Le grand philosophe Aristote et le grand poète Dante sont d'accord sur ce point, eux qui placèrent les traîtres au plus bas de l’échelle :  Aristote dans la neuvième catégorie de son Éthique à Nicomaque, et Dante dans le neuvième et dernier cercle de son Enfer.

Depuis les temps bibliques, il existe un débat sur la vengeance – « fracture pour fracture, œil pour œil, dent pour dent ». Un débat sur l'évolution de ce concept au fur et à mesure de l'évolution de l'humanité – si toutefois on accepte que l’humanité a réellement évaluée. Ainsi, jusqu'à l'affirmation bien connue selon laquelle « la vengeance est un plat qui se mange froid ». Caïn et Juda sont depuis longtemps devenus des noms communs.

Pour ce qui est de la trahison, je suis tout à fait d'accord avec les deux classiques cités. La question de la vengeance est plus complexe, et je ne me permettrai pas de dire que, comme il est indiqué au dos du livre, le roman d'Emil Marat « démontre que la vengeance, même quand elle s'oppose à l'impunité, est le contraire de la justice ». C’est justement le raisonnement sur ce thème à partir d'une situation réelle – en pesant le pour et le contre – qui constitue, à mon avis, l'intérêt principal du roman, et oblige le lecteur à réfléchir. À changer d'avis. À pencher d'un côté ou de l'autre. Tout est réel dans ces pages : les faits, les dates, les noms des personnages et les décisions qu'ils ont prises. Tout cela s'est réellement passé, aussi, grâce à cette authenticité, les événements dramatiques décrits n'étourdissent pas le lecteur au moment du dénouement, mais le tiennent en haleine tout au long du récit.

Comme vous l'avez compris d'après le titre de l’ouvrage, le sujet est lié à la Seconde Guerre mondiale. Toutefois, malgré les horreurs qu’il décrit, Les puits de Nuremberg est étonnamment rempli de tendresse et de beauté – et ceci pas uniquement en raison de la présence de poèmes qui s’y trouvent reproduits ! Une traduction de psaumes, notamment, réalisée par le lauréat du prix Nobel de littérature d'origine lituanienne Czeslaw Milosz. Le roman est dédié aux poètes de Wilno, comme on appelait Vilnius jusqu'en 1939.

L'un des personnages principaux est Abba Kovner, né en 1918, fils d'Israel Mikhelevich Kovner, marchand de cuir et d'articles de maroquinerie. En octobre 1939, il est admis comme étudiant libre en première année de la Faculté des arts de l'Université Stefan Batory, laquelle a fonctionné à Wilno de 1919 à 1939. En janvier 1942, il devient l'un des dirigeants de l'« Organisation unie des partisans » créée dans le ghetto de Vilnius en sorte d’organiser l'autodéfense, le sabotage et – en cas de succès – de rejoindre les partisans et l'Armée rouge. Au cours de l'été 1943, à l'âge de 25 ans, il assume la mission de chef de la clandestinité. En septembre 1943, lors de la liquidation du ghetto, avec quelques combattants, Kovner se réfugie dans les forêts de Rudnik ; il y crée une unité de partisans juifs, composée de combattants du ghetto et de la brigade Nekam (Vengeance). Chaque membre de cette unité a perdu des proches, massacrés par leurs anciens voisins dans les villes occupées, brûlés dans les chambres à gaz, assassinés dans les camps de concentration... Tous veulent se venger – pour les leurs et pour les six millions de Juifs exterminés.

Le 27 février 1946, un autre membre de l'unité, le poète et romancier Avrom Sutzkever, est devenu le premier témoin juif au procès de Nuremberg. Auparavant, en septembre 1941, alors qu'il était enfermé dans le ghetto de Vilnius, il avait réussi à sauver les manuscrits et les livres de Tolstoï, Gorki et Sholem Aleichem, tous destinés à être détruits sur ordre des nazis. En 1944, il s’était rendu à Moscou, où il avait pris la parole lors du troisième plénum du Comité juif antifasciste, et rencontré Solomon Mikhoels, Boris Pasternak et Ilya Ehrenbourg. « J'ai prié pour que les sanglots et les cris des martyrs soient entendus à travers mes paroles », se souviendra-t-il plus tard, alors qu'il se préparait à prononcer un discours à Nuremberg.

Mais comment traduire en langage humain le texte des tracts distribués par les Lituaniens affirmant que « le Juif n'appartient à aucun peuple et à aucune communauté. Il n'a ni patrie, ni pays. Il restera exclusivement juif pour les siècles à venir » ? Comment convaincre ceux qui ne croient pas à l’existence des horreurs d'Auschwitz ? « Sur la planète Auschwitz, le temps était autre chose qu'ici sur Terre. Chaque fraction de seconde s'écoulait selon une autre échelle. Les habitants de cette planète n'avaient pas de nom, ils n'avaient ni parents, ni enfants. Ils n’étaient pas nés là-bas. Et ils n’y donnaient pas naissance. Ils respiraient même selon les lois d'une autre nature ; ils vivaient et mouraient suivant d’autres lois que celle de notre monde. Leurs noms étaient des numéros », écrira l'un des survivants à l’instant de décrire son expérience.

Quelle vengeance saurait-elle être proportionnelle à l'assassinat de six millions de Juifs ? Le meurtre de six millions d'Allemands, selon des membres de la brigade Nekam. Et qui d'entre nous ne pourrait les comprendre ? Qui d'entre nous n'a pas, à un moment de sa vie, voulu se venger de transgressions bien moins graves ? David Ben-Gourion, pourtant, n'était pas de cet avis : « Est-ce que la mort de six millions ressuscitera six millions ? Non ? Alors, je ne suis pas intéressé », disait-il. Mais comme il n'était encore que le futur Premier ministre d'Israël, l’on n'était pas obligé de l'écouter.

Oui, la vengeance est un plat qui se mange froid, et c'est pourquoi la réalisation du plan fut entretenue pendant de nombreux mois. Le « plan A » était en préparation : empoisonner l'eau de Hambourg, Munich, Francfort et Nuremberg. Au cas où il ne pourrait être réalisé, un « plan B » était en réserve : la liquidation des prisonniers SS dans les camps alliés.

Le 13 avril 1946, trois membres du groupe empoisonnent le pain de 12 000 prisonniers de guerre allemands – pour la plupart des SS, détenus dans le camp de prisonniers de guerre du Stalag 13, près de Nuremberg. Plus de 2 200 d’entre eux furent affectés et 207 hospitalisés, mais il n'y eut aucun décès. Quelques jours de diarrhée de deux mille assassins peuvent-ils être considérés comme une juste rétribution pour les six millions de morts ?

Les deux premiers plans n'étaient pas destinés à être réalisés, et ceci en raison de la trahison d'un initié. Les « vengeurs » n'ont jamais su qui était ce traître qui sauva de la mort des millions d'Allemands, pensant ainsi sauver du péché les âmes juives.

« Vous vivez car nous vous avons permis vivre. […] Nous voulions vous prendre vos maris, vos femmes, vos pères et de vos vieilles mères pour que le monde aveugle voie comment vous souffrez et comprenne comment nous souffrons, pour que vous vous sentiez comme nous, nous qui sommes passés de la vie à la mort, à cette mort qui n’arrive pas, mais qui est sans cesse présente, qui veille dans nos poitrines et qui jamais, jamais ne nous quittera, nous et nos enfants. L’horreur et l'agonie perpétuelle ne nous quitteront jamais. […] Nous vous faisons don de la vie. Puisse-t-elle durer. »

C'est par ces mots déchirants que commence le livre. Il aurait pu se terminer par eux. Que signifie s'abstenir de se venger ? Est-ce un signe de lâcheté, une tentative de tendre l'autre joue ? Ou s'agit-il d'une démonstration de la plus grande magnanimité, dont seuls les plus sages et nobles sont capable ? Ceux qui sont convaincus de leur bon droit et de leur supériorité morale peuvent-ils se permettre de s'arrêter pour sortir du cercle vicieux sanglant que constitue « œil pour œil, dent pour dent » ? C'est à chacun de trouver la réponse à cette question des plus difficiles.

« Ce dont on ne se souvient pas n'existe pas », a dit l'un des survivants de cette histoire. Se souvenir est nécessaire pour éviter que les horreurs se répètent. Mais où trouver un remède à l'amnésie de masse ?

Il est des choses qui ne se pardonnent pas. Une trahison en est une. Quand bien même on s’y efforce sincèrement, elles restent pour toujours au fond de notre cœur. Comme le dit si bien un ami : « Je vous pardonne, mais je garde la liste ».

Quant à la vengeance, s’en abstenir est un privilège des gens heureux. Notre bonheur rongera à jamais ceux qui nous veulent du mal. Soyons donc heureux, mes chers lecteurs, déversons nos marmites du bonheur autours de nous, et c’est ainsi que périront nos ennemis. Dans des souffrances terribles.

22.04.2024
Les Nabokov sur le paquebot Liberté

Selon la tradition, marquant l'anniversaire de la naissance de Vladimir Nabokov, je souhaite partager avec vous une information peu connue à propos de cet écrivain dont une citation figure sur la page Facebook de Nasha Gazeta : « Tout ce que je possède, c'est ma langue ».
 
Pour les amateurs de l'œuvre de Vladimir Nabokov, Nasha Gazeta reste une véritable mine de trésors tant nous avons publié de choses à son sujet. De choses et de photos rares. Parmi les publications les plus récentes, accessibles en français, je noterai celle consacrée à l’exposition de la Fondation Jan Michalski et celle sur la lecture de Lolita en Iran.
 
Mais aujourd'hui, j’aimerai donner la parole, non pas tant à Vladimir Nabokov, qu'à son épouse, Vera Evseevna Slonim (1901-1991), car il est bien connu que derrière chaque homme qui réussit se cache une femme aimante et sage. Hélas, pas tous les hommes qui réussissent comprennent cela et l'apprécient. Nombreux sont ceux qui, ayant réussi, remplacent leur femme dévouée par une épouse "trophée" – nullement issue d'un grand esprit, bien entendu. Nabokov, quant à lui, était très intelligent, il suffit de lire son remarquable Rire dans la nuit.
 
Lui et Vera s’étaient rencontrés à Berlin, en mai 1923, lors d'un bal de charité organisé par le journal d’émigration russe Roul – émigration efface certaines barrières sociales. Elle fait le premier pas et devient celle à qui tous les écrits de l'écrivain vont être désormais dédiés – jusqu'à sa mort à lui, à Montreux, en 1977. Outre son rôle de muse, elle aura également rempli les fonctions de dactylo, secrétaire, agent littéraire, archiviste et même chauffeur – Nabokov n'ayant pas de permis de conduire.
 
Est-il possible d'imaginer une preuve plus convaincante de l'intimité entre un homme et une femme qu'un journal écrit à quatre mains ? Je pense que non, et c'est de ce genre de journal que je vais vous parler maintenant.
 
   « Publié pour la première fois, ce journal, dont l'original est gardé à la Berg Collection de la New York Public Library, constitue la plus grande partie des notes personnelles rédigées à quatre mains sur un petit agenda perpétuel par Vladimir et Vera Nabokov en juin 1951, interrompu, puis repris sept années plus tard par Véra, au moment de la parution de Lolita aux États-Unis. Pour marquer cette césure temporelle dans le carnet, Nabokov inscrira a posteriori la mention "Hurricane Lolita" sur la page qui ouvre la reprise de 1958 » ; tel est ce qu’expliquent dans une préface très instructive les chercheurs Yannicke Chupin et Monica Manolescu, qui ont préparé pour la publication l'édition française (traduction de Brice Matthieussent) du journal dans laquelle les textes de Vera sont rendus en caractères droits et ceux de Nabokov en italiques. Le premier texte qu'ils ont ensemble partagé fut rédigé le 20 mai 1958 à Ithaca, État de New York, et le dernier – inachevé – fut inscrit de la main de Vera le 26 septembre 1959. Trois jours plus tard, les Nabokov embarquaient à New York sur le paquebot Liberté et commençaient une nouvelle vie rendue possible par l'énorme succès de Lolita.

On pourrait s'étonner de ce que ce journal fragmentaire ait survécu. Il est connu que Vera Evseevna était une personne discrète, secrète même, qu'elle évitait les questions "personnelles", et qu'après la mort de l'écrivain elle prit soin de détruire tous les textes qu'elle lui avait écrit. Le volume des Lettres à Vera ne contient que les lettres que Vladimir lui adressa, mais non ses réponses à elle. On peut comprendre cette réticence à mettre des lettres personnelles – avec les pensées et les sentiments personnels qui y sont exprimés – à la disposition du regard d'étrangers toujours curieux, quoique pas toujours bienveillants. Mais il faut en conclure que les fragments de journal qui subsistent ne sont pas le fruit du hasard.
 
Quoi qu'il en soit, il est très intéressant de lire ces notes, car elles lèvent le voile sur cette partie de la vie de l'écrivain (et de son entourage) qui n'est généralement pas visible pour le lecteur : l'organisation de la journée de travail et des loisirs, les relations avec les éditeurs et les traducteurs, les soucis pour le fils et la famille restée en Europe, les contacts amicaux et professionnels, les réflexions sur tout... Mais l'écrivain est aussi un être humain, et sa vie ne peut se résumer aux « pensées élevées ». Et voilà donc que nous apprenons non sans sourire que, par exemple, Jean-Jacques Demorest, un collègue de Nabokov à l'université de Cornell, a apporté au couple « une truite fraîchement pêchée », que leur fils Dimitri est satisfait de ses leçons de tennis et, immédiatement après, que des étudiants de Cornell ont été indignés par l'interdiction des fêtes d'appartement ; ou que Nabokov a refusé d'écrire un article sur l'obscénité pour le Times Magazine ; ou encore qu’ à la fin du mois de janvier 1959, il était très occupé à travailler à un commentaire sur l’épopée russe intitulée Le Dit de la campagne d’Igor.
 
Avec les Nabokov, le lecteur entreprend un voyage fascinant à travers les États-Unis, admirant la beauté de ses espaces, parcourant des centaines de kilomètres à la recherche de papillons, discutant des détails domestiques de chaque hôtel et se réjouissant du fait que Lolita soit devenu un best-seller en un temps record, bien que le roman ait été interdit au Canada et à Paris. Nous découvrons que l'Anglais Minton est un excellent éditeur – ce qui n'est pas le cas de ses collègues français. Nous découvrons la délicatesse de Nabokov, qui a toujours peur d'offenser quelqu'un par inadvertance, les démêlés avec un certain Warren, qui a écrit une ballade musicale intitulée Lolita et qui exige l'exclusivité des droits d'utilisation de ce titre, ainsi qu'un coup de téléphone d'Hollywood proposant une adaptation cinématographique du roman, suivi de calculs complexes des droits d'auteur. L'amour pour son mari et l'inquiétude pour lui transparaissent dans chaque mot de Véra ; elle s'inquiète non seulement pour Vladimir Vladimirovitch, mais aussi pour ses personnages.
 
« J'aimerai pourtant que quelqu'un remarque la tendre description de l'impuissance de cette enfant, sa pathétique dépendance envers le monstrueux Humbert Humbert, et son courage déchirant tout au long, culminant dans ce mariage sordide mais essentiellement pur et sain, et sa lettre, et le chien... »
 
À travers tous ces sujets littéraires et quasi-littéraires, perce la personnalité de Véra – peut-être contre son gré – de par son sens de l'humour et de la dignité, ses remarques peu flatteuses sur Le Docteur Jivago, biffées dans le journal mais rétablies dans l'édition, ses positions de principe sur un certain nombre de questions importantes pour elle, y compris la question juive – Véra Nabokova-Slonim n'ayant jamais caché ses origines.
 
« Je déteste les gens qui "se mettent en avant", et voir des Juifs le faire me dégoûte encore plus – car notre honneur nous oblige à ne pas cautionner le préjugé selon lequel il s'agirait d'un trait typiquement juif. Dieu sait que j’ai connu un nombre considérable de Juifs très dignes, fiers et modestes – mais qui les remarque ? Ce sont les A. et tous leurs semblables qui sont responsables de cette généralisation dont pâtit tout le peuple juif ».
 
Comme vous voyez, aucun des thèmes n'a perdu de sa pertinence. La lecture de ce journal n'en sera que plus intéressante.
 
 
 

A PROPOS DE CE BLOG

Nadia Sikorsky a grandi à Moscou, où elle a obtenu un master de journalisme et un doctorat en histoire à l’Université d’Ètat de Moscou. Après 13 ans au sein de l’Unesco à Paris puis à Genève, et exercé les fonctions de directrice de la communication à la Croix-Verte internationale, fondée par Mikhaïl Gorbatchev, elle développe NashaGazeta.ch, quotidien russophone en ligne.

En 2022, elle s’est trouvée parmi celles et ceux qui, selon la rédaction du Temps, ont « sensiblement contribué au succès de la Suisse romande », parmi les faiseurs d’opinion et leaders économiques, politiques, scientifiques et culturels – le Forum des 100.

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