Le 16 février, cela fera un an qu'Alexeï Navalny succombait au sein d’une colonie pénitentiaire à régime spécial, dans le Grand Nord russe. La veille de ce triste anniversaire j’aimerai vous parler de son livre intitulé en français Patriote – mémoires.
Il n'est pas facile d'écrire à propos d’un ouvrage rédigé par une personne décédée récemment et de manière si tragique. Surtout si, de son vivant, vous ne le considériez pas comme votre héros – ainsi que j’ai eu l’occasion de l’avouer. Eh non, la mort n'aplanit pas tout, mais elle ramène à la surface l'essentiel et pose clairement les accents qui semblaient auparavant déplacés. On peut ne pas être d'accord sur tout avec Alexeï Navalny, mais il est impossible de ne pas reconnaître son courage et son abnégation. Lorsque j'ai commencé à lire Patriote – mémoires, j'ai ressenti le même sentiment que lorsque je lisais Herron, le livre de Charles Lewinsky consacré à un réalisateur allemand d'origine juive mort dans le camp de concentration nazi de Theresienstadt. Entre ces deux ouvrages, la principale différence qui saute aux yeux est la suivante : d’un côté, il s’agit d’une œuvre de fiction, tandis que de l’autre nous avons affaire à une autobiographie. Toutefois, deux grandes similitudes s’imposent également : on sait à l'avance que le héros mourra à la fin ; les deux héros se considèrent comme des patriotes, croient en leur patrie et meurent aux mains de ses dirigeants.
Le livre d'Alexeï Navalny a trouvé ses lecteurs peu après la mort de l'auteur. Le 22 octobre 2024, il paraissait à l’enseigne de l'éditeur lituanien One Book Publishing et était simultanément traduit en 26 langues. Dans la chaîne des librairies suisse Payot, vous le trouverez en anglais et en français ; la version russe, quant à elle, vous sera expédiée à votre domicile, sur simple commande ici. En revanche, il ne sera livré ni en Russie ni en Biélorussie. L’ouvrage se compose de deux parties. La première – une autobiographie qui démarre en 1976 avec la petite enfance écoulée dans une cité militaire proche de Tchernobyl –, Alexeï Navalny a commencé à l'écrire en Allemagne, en 2020, peu après l'empoisonnement au Novichok. La deuxième partie est constituée de journaux intimes que l’auteur a tenus dans différents centres de détention provisoire et dans des colonies entre 2021 et 2022. Du point de vue du lecteur, la première partie est une brève évocation des quinze dernières années de l'histoire soviétique et des trente premières années de l'histoire de la nouvelle Russie. La seconde partie, quant à elle, est le récit très personnel d'un homme que le système a poussé à la mort avec diligence mais qu’il n’a pas réussi à briser. Il n'y a pas grand-chose de politique dans cette deuxième partie ; seulement de la douleur – physique et mentale – recouverte d'une patine d'insouciance… avec le même succès qu'une feuille de vigne recouvre le corps. Le lecteur attentif remarquera que les notes de la deuxième partie sont beaucoup plus courtes : ce n'est pas parce que Navalny est devenu paresseux, mais simplement parce qu'on lui a donné un stylo et du papier pendant une demi-heure par jour.
À première vue, on pourrait penser que ce livre, en particulier la première partie, s'adresse principalement aux lecteurs étrangers, mais ce n'est pas le cas. La mémoire humaine est courte et a tendance à ne retenir que ce qu'elle veut. Il me paraît donc utile de rappeler au public russophone les moments clés de notre passé récent commun qui, situés dans une chaîne chronologique et logique, et de plus commentés par Alexeï Navalny avec plus ou moins d'objectivité, donnent une réponse claire à la question de savoir comment nous en sommes arrivés là. Nous l'avons fait avec nos propres pieds. Pour les étrangers, cependant, beaucoup de choses constitueront une révélation.
Dans ce récit de 400 pages, on peut distinguer quatre axes principaux : Alexeï Navalny lui-même, ses proches, sa lutte, la prison. Malgré la gravité des thèmes abordés, le livre est plein d'humour, d'ironie et d'auto-ironie – ce qui le rend très facile à lire. Celles et ceux qui habitent en Suisse ont déjà eu l'occasion de se faire une idée du SHIZO, cette « cellule disciplinaire individuelle » où Alexeï Navalny a passé un total de 295 jours ; mais les nombreux autres détails que contient Patriote ne laisseront personne indifférent… et moins encore les textes reproduisant les « derniers mots » de Navalny, qui sont autant de manifestes.
Chaque lecteur prêtera certainement attention à ce qui l'intéresse personnellement : certains aux détails de la vie de Navalny ; d'autres à ses évaluations relatives à différentes personnalités politiques russes et étrangères ; d'autres encore à ses analyses de situations spécifiques depuis les débuts de l'utilisation d'Internet en Russie, s’agissant de réunir des personnes partageant les mêmes idées, et les particularités du travail avec les médias dans les conditions russes… et jusqu'aux stratagèmes de blanchiment d'argent russe en Occident. Mais je pense que tout le monde constatera à quel point il est difficile de faire bouger les Russes ; de les encourager à agir – même pour défendre leurs propres intérêts. La Suisse est mentionnée indirectement et seulement par deux fois dans Patriote : en relation avec la société Gunvor, qui a appartenu à Gennady Timtchenko, mentionné plus d'une fois dans mes pages, et avec la maison qui, selon Navalny, appartient au fils de l'ancien procureur général russe Yuri Chaïka. J’ai également pris note de la prédilection de l'ancien vice-premier ministre russe Igor Shuvalov pour les chiens Corgi : apparemment, c'est une mode parmi la nomenklatura russe, car il y a quelques années, le sénateur Andreï Klishas, qui aime beaucoup Lugano, m’a initié aux subtilités de l'élevage de bouviers suisses dans les conditions de la Russie.
Personnellement, j'étais intéressée par ce qu'Alexeï Navalny avait à dire au sujet de ses liens avec les nationalistes et de sa participation aux Marches russes, car c'est ce qui a miné ma confiance en lui et m'a empêché de soutenir ses activités de façon inconditionnelle. J'ai trouvé la réponse en page 179 de l'édition en langue russe.
« Le mot “nationalisme” est généralement intimidant. Pour tous les journalistes étrangers, c'est un sujet de prédilection, car dès que vous le prononcez, l'imagination de la plupart des téléspectateurs occidentaux s'imagine des skinheads agressifs. Mais la plupart de ces personnes n'étaient pas des skinheads. Ils s'appelaient eux-mêmes “nationalistes européens” ; tout comme les libéraux, ils ont été écartés du système politique du pays, privés de toute représentation au parlement, et même de la possibilité de l'obtenir, puisqu'ils n'ont pas été autorisés à participer aux élections. Et j'étais persuadé qu'une large coalition était nécessaire pour lutter contre Poutine. »
Je ne peux pas qualifier cette réponse d'exhaustive, et n'ai toujours aucune sympathie pour les pauvres nationalistes qui ont été évincés, mais la position de Navalny me devient plus claire.
D'une manière générale, j’ai souligné et noté beaucoup de choses dans le livre, en sorte de pouvoir les citer plus tard. Voici quelques exemples :
– « Chaque fois que je retournais en Russie, je me demandais s'ils allaient m'arrêter ou non ». Navalny évoque ici la fin de l'année 2010, mais combien de mes compatriotes se posent aujourd'hui la même question !
– « La seule arme, mais la plus puissante, dont nous avons besoin, chacun la possède – c'est l'estime de soi ». Vous conviendrez que cette phrase n'a rien perdu de sa pertinence.
– Ou encore ce commentaire sur les mœurs russes : « Nous sommes fiers de ceux que nous avons emprisonnés auparavant ». En effet.
Quoi que vous pensiez d'Alexeï Navalny, son livre vaut d'être lu – il vous fera réfléchir à beaucoup de choses. Et le dimanche 16 février, faisons simplement une minute de silence.
Nadia Sikorsky a grandi à Moscou, où elle a obtenu un master de journalisme et un doctorat en histoire à l’Université d’Ètat de Moscou. Après 13 ans au sein de l’Unesco à Paris puis à Genève, et exercé les fonctions de directrice de la communication à la Croix-Verte internationale, fondée par Mikhaïl Gorbatchev, elle développe NashaGazeta.ch, quotidien russophone en ligne.
En 2022, elle s’est trouvée parmi celles et ceux qui, selon la rédaction du Temps, ont « sensiblement contribué au succès de la Suisse romande », parmi les faiseurs d’opinion et leaders économiques, politiques, scientifiques et culturels – le Forum des 100.
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