Vendredi 6 octobre, j’ai tranquillement préparé un texte qui devait être publié le lundi suivant. Il s’agissait de relayer à l’attention de mon lectorat les cas de déclarations, images et graffiti à caractère antisémite repérés à Genève lors de l’actuelle campagne électorale et répertoriés par la Coordination intercommunautaire contre l’antisémitisme et la diffamation (CICAD). Une fois le travail terminé, je me suis rendue au concert au Victoria-Hall, puis me suis couchée paisiblement. Le lendemain au réveil j’ai allumé mon téléphone… et réalisé le cauchemar qui s’était entretemps produit. J’ai passé le weekend à regarder la chaîne LCI et à regretter que Darius Rochebin nous ait quitté pour Paris, rajoutant dans mon article des informations au fur et à mesure qu’elles me parvenaient.
L’article est paru lundi dernier, comme prévu. Facebook a jugé son contenu « dangereux ou insultant » – de toute évidence à cause du mot « antisémitisme » que contenait son titre. Dans mon texte, entre autres choses, je mentionnais le fait que le Hamas était reconnu par « le monde civilisé » comme une organisation terroriste. Or quelques heures plus tard, je découvrais que la Suisse ne l’estimait pas tel. Un autre texte s’est donc avéré nécessaire pour expliquer à mes lecteurs les nuances de la situation.
A quelques jours des Élections fédérales, la Suisse se trouve prise dans une nouvelle tourmente. Après le dilemme ukrainien, résolu en faveur du pays attaqué par la Russie, un nombre grandissant d’acteurs politiques font monter la pression sur Berne afin que, là aussi, elle suive l’exemple de ses partenaires européens et américains et bannisse le Hamas de la liste des interlocuteurs fréquentables. A ce jour, le Conseil fédéral a témporisé et d’autres voix se font entendre – parmi lesquelles de vieilles chansons connues depuis la nuit de temps, allant de « oui, mais » à « c’est la faute des Juifs ». Rien de nouveau sous le soleil.
Je ne vais pas rentrer dans les détails de l’horreur que nous suivons depuis samedi dernier. Il est pour moi clair que les « combattants » du Hamas ne sont pas des guerriers, ne sont pas des hommes, mais des lâches qui tuent les bébés, exhibent avec fierté les corps des femmes violées et se dissimulent derrière les vieilles dames et les femmes enceintes sans défense, ainsi que – et avant tout – derrière le peuple palestinien. Ce peuple au nom duquel et dans l’intérêt duquel le Hamas prétend agir. Rien n’est plus éloigné de la vérité que cette prétendue raison d’agir. Le Hamas n’est guidé que par la haine envers le peuple juif ; un peuple dont une grande partie des citoyens ont pour langue maternelle l’arabe, et l’autre… le russe.
Dans ma vie d’avant, celle de Paris et de l’ONU, je prenais souvent le café dans la cafeteria de la rue Miollis, en compagnie d’ambassadeurs d’Israël et de la Palestine (avant l’arrivée de Leïla Shahid). En 1993, j’ai pour la première fois visité Israël et ai été très surprise du contraste entre ce que je pouvais voir de mes propres yeux et ce que nous contait la propagande soviétique. La même année j’ai eu l’occasion de visiter Ramallah et en suis ressortie profondément choquée par la misère que j’y ai constatée. La misère est toujours là, ou plutôt était encore là il y a quelques jours, tandis que la veuve de Yasser Arafat et leur fille possèdent – selon les révélations de la presse britannique – un quartier de Londres. Plus tard, j’ai écouté les discours de MM Arafat et Rabin prononcés à l’UNESCO, après que le Prix Nobel de la paix leur fut décerné – une paix semblait si proche, si palpable ! Puis Yitzhak Rabin fut assassiné par un juif radicalisé. Le lendemain, toute la population adulte d’Israël descendait dans les rues. Plutôt que d’être déclaré « martyr », l’ignoble assassin était incarcéré à perpétuité. Sa mort serait lente, très lente. Le Hamas est ensuite arrivé au pouvoir en Palestine en 2006. Et aujourd’hui, nous sommes dans une impasse. Dans une impasse sanglante.
… Et « l’accent russe » dans tout cela ? Samedi dernier c’est moi qui apprenais à ma mère qui se trouve à Moscou ce qui se passait en Israël : les médias russes n’en parlaient pas, trop occupés à chanter les éloges à M. Poutine dont c’était l’anniversaire. Dès les premières heures du drame, les questions ont surgi à propos d’une éventuelle implication de la Russie. « La Russie fait partie des pays qui n’ont pas résolument condamné les terroristes ». « Les armes utilisées par Hamas sont « made in Russia » ». « Cela arrange bien Poutine de détourner l’attention de l’Ukraine ». «L’Iran est le nouvel allié de la Russie ». « Des gens du Hamas ont été reçus au Kremlin ». Voici les arguments que j’ai entendus et qui sont tous valables. On peut d’ailleurs y rajouter le fait que le 10 octobre, M. Poutine a reçu le Premier-ministre irakien et lui a parlé de la nécessité de créer un État palestinien et de la responsabilité des États-Unis dans le carnage organisé par les terroristes. Mais pour l’instant, il n’existe aucune preuve de l’implication russe ; le grand rabbin de Moscou nie une telle éventualité. De plus, il y a quelques jours, 83 pays se sont montrés prêts à redonner à la Russie un siège au Conseil des droits de l’homme de l’ONU. De l’autre côté, l’Ambassade russe en Israël a annoncé la mort de quatre ressortissants russes lors de l’attaque du Hamas et la disparition de six autres. On déplore entre autres le décès du grand physicien Sergei Gredeskul qui fit son alia en Israël après 1991 ; ce scientifique âgé de 81 ans et son épouse ont été assassiné dans leur maison à Ofakim, au sud du pays.
Ces derniers jours on entend souvent le mot « pogrom ». Pour rappel, ce mot d’origine russe – погром - est utilisé dans plusieurs langues pour décrire les attaques, accompagnées de pillage et massacres, perpétrées contre une communauté juive. Pour Léon Poliakov ou Gerald Messadié, le premier pogrom eut lieu en l'an 38 lors des émeutes antijuives d'Alexandrie. Rien de nouveau donc, là non plus.
… Il y a quelques mois, lors d’une rencontre avec les lecteurs au Grand Théâtre de Genève, une dame m’avait posé une question : « Vous avez pris position pour l’Ukraine, mais vous n’êtes pas sans savoir que l’Ukraine n’est pas un pays idéal, loin de là ». « Bien sûr, Madame, – lui ai-je répondu. Mais la guerre n’est pas une solution pour l’améliorer ».
M. Poutine a commencé la guerre contre l’Ukraine, convaincu de la puissance de son armée et proclamant qu’il agissait pour défendre le peuple russe. Il a eu tort. Le Hamas a instauré la guerre contre Israël en profitant du désarroi qui règne actuellement au sein des hauts échelons politiques du pays ; un désarroi ayant affecté une armée que tout le monde croyait invincible. Il a eu tort, lui aussi. Car bien qu’Israël n’est pas – loin de là ! – un pays idéal, le massacre de ses citoyens innocents ne constitue en rien une solution pour l’améliorer.
Ceux parmi vous qui connaissent l’histoire d’Israël ou qui, du moins, ont vu le film Golda avec l’excellente Helen Mirren, savent qu’une fois le pire passé, le gouvernement israélien devra rendre des comptes à son peuple pour les erreurs – nombreuses et gravissimes – qu’il a commis. Rendre comptes et assumer sa responsabilité. Une responsabilité lourde. Mais auparavant, il faut en finir avec les terroristes qui infectent notre monde et font payer enfants et mères pour les erreurs des politiciens. J’espère que le monde civilisé sera uni dans cet action – dans l’intérêt du peuple de Palestine, dans l’intérêt du peuple d’Israël, dans l’intérêt de nous tous. Car enfin oui : nous sommes tous concernés. Vous me connaissez, mes chers lecteurs : je suis toujours opposée à la guerre, opposée à la haine et toujours partisante du dialogue. Mais cette fois non. J’espère que la Suisse fera partie de ce « monde civilisé » et appellera le Hamas par son vrai nom – celle de l’organisation terroriste, avec laquelle le dialogue est exclu. On ne discute pas avec les terroristes. Je pense que nous sommes sur la bonne voie car hier soir j'ai lu sur le site de DFAE: "Le Conseil fédéral est d’avis que le Hamas doit être qualifié d’organisation terroriste." J’espère qu’un vrai interlocuteur se présentera par la suite et que la solution digne de deux peuple, palestinien et israélien, sera trouvée, avec l'aide de la Suisse peut-être et une fois pour toutes. Amen.
Nadia Sikorsky a grandi à Moscou, où elle a obtenu un master de journalisme et un doctorat en histoire à l’Université d’Ètat de Moscou. Après 13 ans au sein de l’Unesco à Paris puis à Genève, et exercé les fonctions de directrice de la communication à la Croix-Verte internationale, fondée par Mikhaïl Gorbatchev, elle développe NashaGazeta.ch, quotidien russophone en ligne.
En 2022, elle s’est trouvée parmi celles et ceux qui, selon la rédaction du Temps, ont « sensiblement contribué au succès de la Suisse romande », parmi les faiseurs d’opinion et leaders économiques, politiques, scientifiques et culturels – le Forum des 100.
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