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Konstantin Mitenev : En attente d'expulsion. (Suite)

26.06.2024
Tribunal administratif fédéral de Saint-Gall (DR)

En février de cette année, presque exactement au moment du deuxième anniversaire du début de la guerre en Ukraine, je vous ai parlé d'un artiste de Saint-Pétersbourg qui, à l'époque, vivait déjà depuis un an et demi à l'EVAM, l’Établissement vaudois d’accueil des migrants. Il se trouve que le jour même de cette publication, j’ai eu l'occasion de transmettre son dossier à un collaborateur proche de la présidente de la Confédération Viola Amherd – ce non pas dans le but d’obtenir de quelconques privilèges, mais plus simplement pour donner un exemple concret du genre de situation dans laquelle se trouvent certains Russes qui s'opposent ouvertement à la guerre.

Malheureusement, ni moi, ni Konstantin Mitenev n'avons reçu de réponse à notre appel. Mais le 29 avril dernier, le Tribunal administratif fédéral de Saint-Gall se prononçait à propos du recours de Konstantin Mitenev contre la décision du Service fédéral des migrations (SEM) de l'expulser. Le jugement, dont je possède une copie, relate toute l'affaire, que vous connaissez déjà. Le raisonnement du SEM a été également résumé ; il concluait que « les allégations du requérant selon lesquelles il serait considéré comme un « agent étranger » à son retour au pays ne reposaient sur aucun élément concret » et que « rien ne permettait d’admettre que l’intéressé serait appelé à rejoindre l’armée dans le cadre de la mobilisation, notamment au regard de son âge ainsi que de son handicap. »   La décision de le renvoyer en Russie était en conséquence parfaitement légale.

Le Tribunal administratif fédéral a confirmé la justesse de cette décision, rappelant que « des réfugiés sont des personnes qui, dans leur État d’origine ou dans le pays de leur dernière résidence, sont exposées à de sérieux préjudices ou craignent à juste titre de l’être en raison de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un groupe social déterminé ou de leurs opinions politiques ». Mais une position ouvertement anti-guerre n'est-elle pas une déclaration d'opinion politique ? Et les autorités suisses ne savent-elles pas que, dans la Russie d'aujourd'hui, même des « délits » moins graves qu'un piquet de grève solitaire devant le Palais des Nations à Genève sont punissables ?

En tout état de cause, le Tribunal a décidé :

–de rejeter le recours ;

–de rejeter la requête d'assistance judiciaire ;

– de réclamer au requérant la somme de 750 francs pour frais de procédure.

Ayant reçu une copie de ce jugement, j’ai été curieuse de savoir qui étaient les juges impliqués.  Il s’est avéré que la décision d'expulser Konstantin Mitenev n'a pas été prise par un collège de juges, mais par un seul juge : Gregory Sauder, diplômé de la Faculté de droit de l'Université de Fribourg et membre actif de l’UDC. Les positions de ce parti sur la guerre en Ukraine sont bien connues ; il est donc, à mon humble avis, impossible d'être absolument certain de l'impartialité de la personne en question – d'autant qu'elle a pris seule sa décision, en l'absence de Konstantin Mitenev et de son avocat. Avocat qui, soit dit en passant, partage mes doutes.

Certes, un tribunal suisse, contrairement à tout tribunal soviétique, ne prétend pas être « le plus humain du monde ».  Du moins peut-on attendre qu’il fasse preuve d’un minimum d'humanité ! Or c’est sur quoi comptait l'artiste, qui se dit extrêmement déçu par la décision du Tribunal administratif fédéral et y voit un parti pris politique.

Comment, suite à pareille décision, sa situation a-t-elle évolué ?

« L'homme au visage impénétrable à qui j'ai parlé au Service cantonal de la population (SPOP) m'a expliqué clairement – et avec insistance – que j'étais en situation irrégulière », me confie-t-il. « Lorsque je lui ai demandé de préciser ce que cela signifiait, il n'a pas répondu. En fait, après la décision du tribunal de Saint-Gall, j'ai perdu mon allocation en espèces (300 francs par mois) et la gratuité des transports publics. Mais j'ai conservé mon allocation “en nature” ; je peux donc obtenir de la nourriture gratuite au magasin de l'EVAM. Par ailleurs, en raison de cette décision d'expulsion, j'aurais dû perdre la chambre que j’occupe ici le 17 mai, mais je ne l'ai pas encore perdue. Il me reste aussi l'assurance maladie, l'assistance médicale et la possibilité d'utiliser un taxi gratuit pour me rendre à mes rendez-vous chez le médecin ».

Quelle suite possible à cette triste affaire ? Peut-on espérer une révision de la décision ? L'avocat de Konstantin Mitenev pense qu’il est nécessaire d’attendre quelques mois avant d’essayer de déposer un nouveau recours, en insistant sur l'état de santé de l’artiste et en tentant de modifier légèrement l'argumentation.

« Le tribunal suisse a dit que la Russie dispose d'excellents services médicaux et que je ne perdrai rien à poursuivre mon traitement là-bas », a ajouté Konstantin Mitenev, non sans une triste ironie. Ensuite il m’a fait part du dialogue qu'il a eu avec un consultant médical du portail des services d’État de la Fédération de Russie. Ce dialogue s'est déroulé comme suit :

« Bonjour. Je souhaite bénéficier d'une invalidité à Saint-Pétersbourg. Puis-je le faire si ma jambe a été amputée en Suisse ?

- Êtes-vous allé en Suisse pour vous faire opérer de la jambe ?

- Non. Je suis un artiste. J'ai voyagé en Suisse pour mes expositions.

- Je ne vous comprends pas. Vous êtes allé en Suisse pour exposer avec une jambe défectueuse ?

- Non. Après l'amputation de trois orteils, la clinique N5 de Saint-Pétersbourg m'a renvoyé avec le diagnostic "en bonne santé, capable de travailler".

- En Suisse, vous avez donc eu des problèmes de santé et avez été admis dans un hôpital local ?

- Oui, c'est exact. Les médecins ont découvert une gangrène et m'ont amputé du pied droit.

- Que voulez-vous faire ?

- Je veux faire une demande d'invalidité à Saint-Pétersbourg parce que j'habite à Saint-Pétersbourg.

- Je crains que vous n'ayez des difficultés avec l'invalidité et les soins médicaux à Saint-Pétersbourg.

- Quel genre de difficultés ?

- Tout d'abord, la clinique où vous avez été traité et d’où vous êtes sorti ne vous donnera pas d'avis favorable sur la nécessité d'enregistrer votre handicap. Vous avez déjà reçu un diagnostic et un résumé de votre état de santé lorsque vous étiez au sein de la Fédération de Russie.

Deuxièmement, si des médecins et des cliniques suisses ont pratiqué sur vous une intervention chirurgicale à la suite de laquelle vous avez besoin d'un statut d’invalide, vous devez faire une demande d'invalidité en Suisse.

- Oui, mais en Suisse, on me dit que je dois retourner dans la Fédération de Russie, étant citoyen de la Fédération de Russie et non de la Suisse.

- Et avec l'argent de qui avez-vous pu vous faire opérer et vivre en Suisse ?

- Eh bien, des organisations caritatives.

- Que voulez-vous de moi ? Je vous ai expliqué l'aspect juridique de votre question. Après, c'est à vous de décider quoi faire. »

 On pourrait croire que c'est drôle si ce n'était pas à ce point triste.

Après avoir effectué des recherches sur Internet, Konstantin Mitenev a découvert que, selon le droit suisse, une personne devenue invalide en Suisse – et c'était son cas, puisque l'amputation a été pratiquée au sein des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG) où sa prothèse est en fabrication – a droit à l'assurance-invalidité. Il a donc envoyé une demande à l'EVAM et attend une réponse. Il a également appris qu'il existe un Comité des droits des personnes handicapées au sein du Haut-Commissariat des Nations-Unies aux droits de l’homme, à Genève, auquel il a également adressé une demande. Laquelle réponse ne lui est pas encore parvenue.

J’espère vivement que les réponses suivront – et qu’elles seront positives. Je vous tiendrai au courant.

 P.S. Chers lecteurs! Le Temps ne publiera pas ce texte. Je compte donc sur vous pour relayer l'information! 

Les yeux d'un artiste sont toujours "wide open". Cette oeuvre de Konstantin Mitenev se trouve dans une collection privée genevoise. Photo © N. Sikorsky
 

A PROPOS DE CE BLOG

Nadia Sikorsky a grandi à Moscou, où elle a obtenu un master de journalisme et un doctorat en histoire à l’Université d’Ètat de Moscou. Après 13 ans au sein de l’Unesco à Paris puis à Genève, et exercé les fonctions de directrice de la communication à la Croix-Verte internationale, fondée par Mikhaïl Gorbatchev, elle développe NashaGazeta.ch, quotidien russophone en ligne.

En 2022, elle s’est trouvée parmi celles et ceux qui, selon la rédaction du Temps, ont « sensiblement contribué au succès de la Suisse romande », parmi les faiseurs d’opinion et leaders économiques, politiques, scientifiques et culturels – le Forum des 100.

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