среда, 27 ноября 2024 года   

Solomon, ténor russe. L’otage de son siècle

22.11.2024

Une fois n’est pas coutume : j’aimerais vous parler d’un livre que j’ai moi-même écrit. Oui, j’ai écrit un roman ! Il conte l’histoire – légèrement romancée, juste ce qu’il faut pour entrainer le lecteur dans la grande et vertigineuse traversée d’un siècle ! – de mon grand-père. D'un homme qui s’appelait Solomon Khromtchenko (1907-2002) et était chanteur d’opéra. Ténor lyrique. Une vedette du théâtre Bolchoï, à Moscou. Cela m’a pris vingt ans pour m’y mettre, mais à présent c’est fait. Un contrat vient d'être signé avec la prestigieuse maison d’édition moscovite « Vremya » dirigée par un certain Boris Pasternak ( ! ). Ceci pour ce qui touche à l’édition en version originale russe. C’est que, malgré l’avis de certaines personnes, il était pour moi important qu’un tel ouvrage paraisse dans ma langue natale… et qu’il puisse être lu par des personnes qui se trouvent encore – pour toujours ? – en Russie.

Un de ses tout premiers lecteurs, l’écrivain Jil Silberstein, m’en a livré l’écho suivant : « La mise en forme de ce récit de vie est extraordinairement vivante et captivante. Ce n’est pas seulement, comme on pourrait à première vue l’imaginer, la vie d’un ténor russe… fut-il prestigieux. Véritablement, à travers le personnage principal des plus attachants, on peut dire que se déroule sous nos yeux, en intégralité, l’histoire de l’Union soviétique – y compris dans ses aspects dramatiques ; voire terrifiants. Histoire de l’URSS, donc. Histoire de ses dirigeants face au monde de la culture placé sous haute surveillance. Histoire aussi des relations entre le Kremlin – et Staline, particulièrement – et les juifs. Le tout conté par d’un « narrateur » formidablement attachant. Super-vivant. Il me faut encore confesser que j’en ai achevé la lecture les larmes aux yeux… après avoir aussi, c’est vrai, pas mal souri, tant l’on s’attache à ce savoureux Solomon Khromtchenko – un homme qui, dévidant la bobine de sa vie mouvementée, refuse pour autant de se camper en héros ».

Dois-je préciser que j’ai achevé la lecture de cette « critique » les larmes aux yeux, moi aussi ?

De quoi s’agit-il-donc, plus précisément ?

Lorsqu'on partage avec quelqu’un sa vie au quotidien pendant un bon nombre d’années, on pense avoir fini par tout savoir de cette personne ; qu'on peut donc se passer de toutes questions complémentaires. C'est là ce que moi aussi je pensais, ayant vécu vingt et un ans dans le même appartement que mon grand-père, Solomon Khromtchenko (1907-2002), un ténor très populaire du théâtre Bolchoï depuis les années 1930.  Vécu, dis-je, au sein d’un coopératif du théâtre Bolchoï de la rue Gorki, à Moscou. Mes voisins comptaient Emil Gilels et Maya Plissetskaïa, pour ne nommer que deux parmi d'autres artistes « soviétiques » exceptionnels et mondialement connus. Certes, je les ai connus déjà âgés ; toutefois, grâce à eux, le génie est devenu pour moi une chose normale dès l'enfance, et le perfectionnisme professionnel la norme pour le reste de ma vie.

Le grand-père en question a vécu une longue vie inextricablement liée à la musique. Jusqu'à son dernier jour, son principal objectif fut « d'être au niveau du théâtre Bolchoï » où il a travaillé de 1934 à 1956 – une période dorée d'un point de vue artistique mais des plus difficiles de tous les autres points de vue. Par la suite, il a enseigné à l'Institut Gnessin de Moscou, devenu Académie pendant plus de vingt ans, jusqu'à accéder au titre de professeur. Au début des années 1990, nous nous sommes séparés : je suis allée à Paris travailler pour l'UNESCO ; mon grand-père, lui, âgé de 85 ans, s'est rendu de manière inattendue en Israël, où on lui a immédiatement proposé un poste de professeur à l'Académie de musique Roubine de Jérusalem. Il est cependant revenu à Moscou pour y mourir.

Après sa mort, j'ai découvert dans son bureau deux dossiers identiques, qu'il avait manifestement laissés à la vue de tous. L'un d'eux était enflé, l'autre mince. Lorsque j'ai détaché le ruban du dossier gonflé, j'ai trouvé, rangés par années, des programmes de spectacles auxquels mon grand-père avait participé, celui du premier concert d'après-guerre au Kremlin en mai 1945, des coupures de presse, des documents uniques et des photographies, des comptes rendus de tous ses spectacles, et même des travaux méthodologiques écrits pendant les années d'enseignement. Dans le second dossier, figurait une unique coupure de presse : un article de l’Artiste soviétique de février 1948 signé par lui-même. Je n'y aurais pas prêté beaucoup d'attention s'il n'y avait pas eu le trombone qui y était attaché, retenant un papier sur lequel sa main avait écrit : « Nadia ! Je te demande de comprendre et de ne pas juger trop sévèrement ».

Il m'a fallu plus de vingt ans pour m’y prendre. J'ai dû grandir, faire des expériences et comprendre beaucoup de choses. Alors seulement j'ai réalisé que ce que j'avais devant moi, c’était un matériel d'archives unique laissé par une personne qui, avec le théâtre Bolchoï, avait vécu un siècle tout particulièrement difficile de l'histoire russe. C’est que, sur la scène de ce plus beau théâtre du monde et à travers lui, tout ce qu'il y avait de plus important en Union soviétique s'était déroulé.

À mon avis, ces documents – de même que ce que j'ai pu trouver dans les archives du théâtre Bolchoï et d'autres sources documentaires, dans les souvenirs des pairs de mon grand-père, dans les récits de leurs enfants et petits-enfants – devraient être à même d’intéresser un large public. Tous ceux donc qui désirent en savoir davantage sur l'histoire de l'URSS et sa culture musicale, mais également sur ses chanteurs professionnels, et ceci en vertu du fait que les ouvrages méthodologiques que mon grand-père a consacrés à son travail sur les rôles majeurs du répertoire pour ténor lyrique constituent un outil pédagogique unique.

Cette biographie romancée de Solomon Khromtchenko, surnommé « le patriarche de la culture musicale russe » dans sa nécrologie publiée dans les journaux, est écrite à la première personne. Dans le sillage du narrateur, le lecteur parcourt une vie inaugurée dans un petit schtetle en Ukraine et qui devait mener grand-père Solomon jusqu'à la scène du théâtre Bolchoï. Jeune encore, on le voit faire la connaissance de ses professeurs d’origine allemande : Mikhaïl Engel-Kron (à Kiev) et Ksenia Dorliak (à Moscou) ; découvrir Moscou au début des années 1930 ; participer au premier concours de musiciens-interprètes de l'Union soviétique en 1933 (celui qui “découvrit”, parmi d’autres, le jeune Emil Gilels) ; passer une audition pour le théâtre Bolchoï en 1934 et finir par maitriser, année après année, entouré de ses remarquables collègues, l’ensemble du répertoire du ténor lyrique. Les dons naturels de Solomon Khromtchenko sont attestés par une ligne postée sur la page qui lui est consacrée à même le site du Théâtre Bolchoï : « Il avait la voix la plus joliment timbrée du Théâtre Bolchoï ». De sa discipline et de sa grande capacité de travail ont résulté sa rare longévité créative : songez qu’il a enregistré son dernier disque – composé des chansons juives – à l’occasion de son 80è anniversaire !

Avec le narrateur, le lecteur vit donc les terribles années 1930. Il observe les persécutions dirigées contre Dimitri Chostakovitch et d'autres compositeurs. Il assiste aux répétitions du Lohengrin de Wagner sous la direction de Sergei Eisenstein en 1940, à propos desquelles presque personne ne sait rien aujourd'hui. Il vit le déclanchement de la guerre à Moscou et l'évacuation du théâtre Bolchoï à Kouibyshev. Il donne des concerts à même le front dans le cadre d'une brigade artistique ; assiste à la première représentation de la Septième symphonie de Chostakovitch en 1942 ; participe en 1943, avec le baryton Alexeï Ivanov, aux auditions des 208 versions du nouvel hymne de l'URSS par la commission gouvernementale dirigée par Vorochilov et Staline lui-même ; participe également à la première réception et au premier concert de l'après-guerre au Kremlin, le 24 mai 1945 ; témoigne de l'arrivée à Moscou du premier ambassadeur d'Israël, Golda Meir, et de la terrible « affaire des blouses blanches » ; assiste au 20e Congrès du Parti communiste au cours duquel a été proclamé la fin du culte de Staline, tout comme aux événements qui ont suivi, ainsi qu’à une représentation de Boris Godounov le 5 mars 1953 – le jour de la mort de Staline ! Il est aussi le premier à entendre le cycle Sur de poèmes folkloriques juifs de Chostakovitch et sa Treizième symphonie. Ainsi jusqu’à 1992.

Écrivant ce livre, j’ai souhaité utiliser la vie de mon personnage pour lever les questions de la place de la culture dans une société totalitaire ; des relations entre l’artiste et le pouvoir ; de l’antisémitisme traditionnel et de celui d’État ; de l’art de survivre dans les circonstances les plus dramatiques tout en préservant sa dignité humaine.

Dans un bref épilogue qui conclut le l’ouvrage, j’évoque – en mon nom cette fois – les dernières années de la vie de mon grand-père. J'explique les raisons de son départ pour Israël et de son retour à Moscou. Je décris la célébration de son 90e anniversaire à Jérusalem, puis à Moscou, et sa dernière prestation publique – à l’occasion de mon mariage à Genève. Il avait alors 92 ans et il avait ébloui avec un “si” de la deuxième octave. C’est ainsi que s’est déroulé son siècle. Le siècle de Solomon.

Le texte est illustré de photos d’archive et de documents uniques ; les QR-codes, eux, permettront au lecteur d’accéder au site dédié à Solomon Khromtchenko et d’écouter sa si belle voix. La plus belle à mes oreilles.  

PS. L’incroyable est qu’avant même d’être publié, le livre dont il est question a commencé à vivre sa vie en me menant, via les traces de mon grand-père, sur des sentiers inattendus. Jusqu’à Bâle. Dois-je songer au deuxième volume ? J’espère que les lecteurs non-russophones pourront, eux-aussi, lire cette histoire – en essayant de comprendre et sans juger trop sévèrement.

Pour finir, je vous invite à écouter une romance de Petr Boulakhov que mon grand-père me chantait quand – chose rare ! – je boudais…

https://solomonkhromchenko.com/lips-that-pout/

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A PROPOS DE CE BLOG

Nadia Sikorsky a grandi à Moscou, où elle a obtenu un master de journalisme et un doctorat en histoire à l’Université d’Ètat de Moscou. Après 13 ans au sein de l’Unesco à Paris puis à Genève, et exercé les fonctions de directrice de la communication à la Croix-Verte internationale, fondée par Mikhaïl Gorbatchev, elle développe NashaGazeta.ch, quotidien russophone en ligne.

En 2022, elle s’est trouvée parmi celles et ceux qui, selon la rédaction du Temps, ont « sensiblement contribué au succès de la Suisse romande », parmi les faiseurs d’opinion et leaders économiques, politiques, scientifiques et culturels – le Forum des 100.

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