Dans quelques jours les États-Unis ouvriront leurs frontières aux Européens vaccinés. OK ! mais ce n’est pas à l’Ouest que je veux vous emmener aujourd’hui en suivant ce guide inattendu qui correspond si parfaitement à cette ville aussi inattendue qu’il décrit en texte et en photos (« New York, Ukraine. Guide d’une ville inattendue », paru aux Éditions Noir sur Blanc et disponible en librairie dès aujourd’hui). Donc pas à l’Ouest mais bien au contraire, à l’Est, à New York (ou, plus précisément, Niou-Iork) dans la région de Donetsk, à 4 km de la ligne de front, en plein cœur du conflit russo-ukrainien. Niou-Iork ressemble comme deux gouttes d’eau aux très nombreuses villes de province en Ukraine, Russie, Belarus… Faute d’Empire State Building, de Central Park et du Hudson, ses quelques douze mille habitants se contentent d’une Maison Unger, d’une usine de phénol et d’une petite rivière Kryviy Torets.
A quoi cette bourgade doit-elle l’honneur d’avoir été remarquée par un photographe suisse, Niels Ackermann, lauréat du Swiss Press Photo 2016, et son compère Sébastien Gobert, voyageur et journaliste ? (Tous deux se sont installés en Ukraine depuis des années et ont co-signé Looking for Lenin, chez Noir sur Blanc, en 2017) ? Réponse : à son nom, évidemment. Car son histoire mérite, effectivement, d’être racontée.
Les lecteurs réguliers de ce blog se souviennent peut-être que, dans les années 1760, beaucoup d’Allemands avaient quitté leur terre natale pour se rendre en Russie où Catherine la Grande leur promettait des terres fertiles russes et son patronat impérial. Ce sont ces colons allemands, et plus précisément les mennonites, qui ont créé cette petite ville et l’ont appelée New York – ce nom si étranger a été préservé, contre vents et marées, pendant plus de deux siècles. Jusqu’en 1951, quand il a été remplacé par un nom plus politiquement correct et plus phonétiquement acceptable : Novhorodske – traduction littérale de « nouvelle ville » en ukrainien.
Le temps a passé, l’Union soviétique n’est plus, l’Ukraine est devenue indépendante… Le conflit armé entre l’Ukraine et la Russie a éclaté en 2014. Peu après une loi a été adoptée dite de la « décommunisation » - visant entre autres à rendre leur nom d’origine aux villes ukrainiennes. C’est alors que certains des habitants de Novhorodske décidèrent de redevenir newyorkais. Pas tous - certains estimant qu’il y avait d’autres préoccupations bien plus urgentes, et d’autres ne souhaitant pas être transportés soudainement en Amérique.
Sébastien Gobert a été le premier à avoir visité Novhorodske, en 2017. « Il en était rentré les yeux pleins d’étoiles », - se souvient Niels Ackermann, qui a refait le voyage, une année plus tard. Obtenir ce changement de nom leur paraissait très aléatoire et peu probable mais ils avaient été touchés par l’énergie des habitants et leur enthousiasme. L’idée de réaliser un guide original s’imposa alors avec force en eux. Sébastien se mit à écrire les textes, et Niels – à photographier abondamment alentour. Le livre contient plus de 80 photographies.
Mais ! Le 3 février 2021 le Comité du parlement ukrainien sur l'organisation du pouvoir de l'État, l'autonomie locale, le développement régional et l'urbanisme a approuvé, par 18 voix contre 1, la demande de changement de nom de la localité en New York , soumise par l'administration locale. C’était un grand pas, mais la route bureaucratique paraissait encore bien longue.
« Le 1er juillet 2021 nous sommes arrivés à Novhorodske pour continuer notre travail, - me raconte Niels Ackermann. – Nous étions en train de parler avec Tetyana Krasko, une des initiatrices du projet du changement du nom de la ville lorsqu’un message s’annonça sur son téléphone portable. Incrédule, elle se mit à le lire à haute voix pour nous : « ce jour-même, le parlement ukrainien a formellement rendu à la ville son nom d'origine, Niu-York. C’est ainsi que Sébastien et moi, étant arrivés le matin dans une ville, avons fini la journée dans une autre sans avoir effectué le moindre déplacement. »
Ce n’est pas demain qu’une nouvelle destination « New York, Ukraine » surgira sur les sites tels Booking.com. Mais le guide existe déjà pour vous raconter l’histoire, la géographie, vous conseiller où manger, où sortir, où dormir… Ce dernier point est un peu problématique car il n’y pas d’hôtel à New York, ni dans les 20 km autour. Du moins, pour l’instant. En revanche, il y a un « hub » où des hôtes très accueillants vous proposeront un lit.
Ce livre vous fera rire et peut-être même pleurer. En tout cas, il vous forcera à admirer ces modestes et touchants nouveaux new-yorkais qui, dans des conditions parfois insupportables, ne baissent pas les bras et ne perdent pas l’espoir.
Venez à leur rencontre le 4 novembre, dès 18 h, à la galerie Large Kiosque (18 rue Philippe-Plantamour, 1201 Genève) et dans les librairies.
Nadia Sikorsky a grandi à Moscou, où elle a obtenu un master de journalisme et un doctorat en histoire à l’Université d’Ètat de Moscou. Après 13 ans au sein de l’Unesco à Paris puis à Genève, et exercé les fonctions de directrice de la communication à la Croix-Verte internationale, fondée par Mikhaïl Gorbatchev, elle développe NashaGazeta.ch, quotidien russophone en ligne.
En 2022, elle s’est trouvée parmi celles et ceux qui, selon la rédaction du Temps, ont « sensiblement contribué au succès de la Suisse romande », parmi les faiseurs d’opinion et leaders économiques, politiques, scientifiques et culturels – le Forum des 100.
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