Je faisais partie des Béotiens ou des fauchés qui ne connaissaient pas encore Marc Dugain. Né en 1957, il a sciencepoté puis dirigé une compagnie d’aviation avant de sombrer dans la démangeaison de l’écriture. Autant il y a des eczémateux funestes, je pense à Marat, autant Dugain a bien fait. Son premier roman, La chambre des officiers, a obtenu 18 prix littéraires.
La quatrième de couverture nous parle d’un épisode dont je me souviens : le naufrage du sous-marin nucléaire Koursk en août 2000, sale affaire sur la débandade russe. Mais, surprise, le roman ne commence pas là. Nous sommes dans les coulisses du Kremlin en 1953. Staline agonise. Il élimine ses médecins et choisit une femme médecin pour soulager ses souffrances. Cette femme a des talents de magnétisme qui ne sont pas marxistes-léninistes (c’est fou ce que ces gens sont imperméables à tout ce qu’ils n’expliquent pas, mais z’ont la soluce : on bute !). Olga Ivanovna Atlina ne sait pas où on l’emmène, bien sûr. Le maître de l’URSS lui ordonne de divorcer au nom de l’amour du peuple dont il est l’incarnation toxique et hypocrite. Les dialogues et la dialectique sont passionnants de perversité mais ils n’apportent rien de bien nouveau. On sait depuis bien longtemps qu’une vie ne compte pas dans ce système dans lequel on vous fabrique des bourgeois comme d’autres de la barbe à papa à la fête foraine, au kilomètre. Vite fait, vite mangé. Pratique pour combler un vide, ici abyssal.
Eternelle Russie
Si Marc Dugain s’arrêtait à ça, nous serions aussi en peine que les âmes rouges. Il est infiniment plus intéressant dans son récit. Nous entrons dans les coulisses de la célèbre police politique, le KGB, à un moment crucial. L’empire soviétique se délite à la fin des années 1980. La police politique, devenue FSB, se prolonge et fait le gros dos sous le règne du satrape Boris « l’éponge ». Si Marc Dugain « sciencepote » il sait aussi rendre hommage à ses sources, en l’occurrence la journaliste russe Alla Shevelkina. Nous suivons le parcours d’un homme moyen, sans grandes peines ni grandes joies, qui ressemble à une incarnation de la « matrice ». Cet homme, s’il n’en porte pas le nom désigne Vladimir Poutine. Il est celui qui fera vivre le système, tous les moyens sont bons, puisque tout le monde se résigne. Après le gros dos, vient le temps de la reconquête d’un pouvoir abandonné à la lie des escrocs, des prévaricateurs. On assiste à la renaissance d’une espèce d’Etat mafieux, qui méprise la vie humaine au nom d’une nation glacée. Il y a un mot de la langue française bien oublié aujourd’hui, l’oblomovisme. Il vient d’Ivan Gontcharov (1812-1891), écrivain russe qui fit de son Oblomov, personnage romanesque, l’archétype de la résignation paresseuse. Et c’est ainsi que l’on voit le Russe résigné à être broyé par le pouvoir qui ne change pas de fond mais simplement de style. Le communisme n’était que l’habit d’un mal qui ronge le pays avant et après lui. On croirait entendre De Gaulle qui ne voyait dans l’URSS que l’éternelle Russie.
Cassandre
Pavel, le narrateur nous a appris le Mal, avec sa mère, qui était la malheureuse auxiliaire médicale de Staline au début du récit . Il le décline sous une autre forme avec son fils, Vania, jeune officier de marine, disparu avec son sous-marin le Koursk ( merci à Fabrice d’Ornano de la Royale, souligne l’auteur). Pavel, malheureux professeur d’Histoire réduit au silence par écoeurement se fabrique un bonheur entre les cuisses d’une grosse. Sexe et Vodka, les deux jambes du bonheur terrestre ? Au nom d’un peuple soupçonneux à l’excès et qui se déteste.
Roman du désespoir, poignant de logique, un chef d’œuvre.
Didier Paineau chez www.boojum-mag.net
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