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Dans les coulisses de Lolita

22.04.2024
Les Nabokov sur le paquebot Liberté

Selon la tradition, marquant l'anniversaire de la naissance de Vladimir Nabokov, je souhaite partager avec vous une information peu connue à propos de cet écrivain dont une citation figure sur la page Facebook de Nasha Gazeta : « Tout ce que je possède, c'est ma langue ».
 
Pour les amateurs de l'œuvre de Vladimir Nabokov, Nasha Gazeta reste une véritable mine de trésors tant nous avons publié de choses à son sujet. De choses et de photos rares. Parmi les publications les plus récentes, accessibles en français, je noterai celle consacrée à l’exposition de la Fondation Jan Michalski et celle sur la lecture de Lolita en Iran.
 
Mais aujourd'hui, j’aimerai donner la parole, non pas tant à Vladimir Nabokov, qu'à son épouse, Vera Evseevna Slonim (1901-1991), car il est bien connu que derrière chaque homme qui réussit se cache une femme aimante et sage. Hélas, pas tous les hommes qui réussissent comprennent cela et l'apprécient. Nombreux sont ceux qui, ayant réussi, remplacent leur femme dévouée par une épouse "trophée" – nullement issue d'un grand esprit, bien entendu. Nabokov, quant à lui, était très intelligent, il suffit de lire son remarquable Rire dans la nuit.
 
Lui et Vera s’étaient rencontrés à Berlin, en mai 1923, lors d'un bal de charité organisé par le journal d’émigration russe Roul – émigration efface certaines barrières sociales. Elle fait le premier pas et devient celle à qui tous les écrits de l'écrivain vont être désormais dédiés – jusqu'à sa mort à lui, à Montreux, en 1977. Outre son rôle de muse, elle aura également rempli les fonctions de dactylo, secrétaire, agent littéraire, archiviste et même chauffeur – Nabokov n'ayant pas de permis de conduire.
 
Est-il possible d'imaginer une preuve plus convaincante de l'intimité entre un homme et une femme qu'un journal écrit à quatre mains ? Je pense que non, et c'est de ce genre de journal que je vais vous parler maintenant.
 
   « Publié pour la première fois, ce journal, dont l'original est gardé à la Berg Collection de la New York Public Library, constitue la plus grande partie des notes personnelles rédigées à quatre mains sur un petit agenda perpétuel par Vladimir et Vera Nabokov en juin 1951, interrompu, puis repris sept années plus tard par Véra, au moment de la parution de Lolita aux États-Unis. Pour marquer cette césure temporelle dans le carnet, Nabokov inscrira a posteriori la mention "Hurricane Lolita" sur la page qui ouvre la reprise de 1958 » ; tel est ce qu’expliquent dans une préface très instructive les chercheurs Yannicke Chupin et Monica Manolescu, qui ont préparé pour la publication l'édition française (traduction de Brice Matthieussent) du journal dans laquelle les textes de Vera sont rendus en caractères droits et ceux de Nabokov en italiques. Le premier texte qu'ils ont ensemble partagé fut rédigé le 20 mai 1958 à Ithaca, État de New York, et le dernier – inachevé – fut inscrit de la main de Vera le 26 septembre 1959. Trois jours plus tard, les Nabokov embarquaient à New York sur le paquebot Liberté et commençaient une nouvelle vie rendue possible par l'énorme succès de Lolita.

On pourrait s'étonner de ce que ce journal fragmentaire ait survécu. Il est connu que Vera Evseevna était une personne discrète, secrète même, qu'elle évitait les questions "personnelles", et qu'après la mort de l'écrivain elle prit soin de détruire tous les textes qu'elle lui avait écrit. Le volume des Lettres à Vera ne contient que les lettres que Vladimir lui adressa, mais non ses réponses à elle. On peut comprendre cette réticence à mettre des lettres personnelles – avec les pensées et les sentiments personnels qui y sont exprimés – à la disposition du regard d'étrangers toujours curieux, quoique pas toujours bienveillants. Mais il faut en conclure que les fragments de journal qui subsistent ne sont pas le fruit du hasard.
 
Quoi qu'il en soit, il est très intéressant de lire ces notes, car elles lèvent le voile sur cette partie de la vie de l'écrivain (et de son entourage) qui n'est généralement pas visible pour le lecteur : l'organisation de la journée de travail et des loisirs, les relations avec les éditeurs et les traducteurs, les soucis pour le fils et la famille restée en Europe, les contacts amicaux et professionnels, les réflexions sur tout... Mais l'écrivain est aussi un être humain, et sa vie ne peut se résumer aux « pensées élevées ». Et voilà donc que nous apprenons non sans sourire que, par exemple, Jean-Jacques Demorest, un collègue de Nabokov à l'université de Cornell, a apporté au couple « une truite fraîchement pêchée », que leur fils Dimitri est satisfait de ses leçons de tennis et, immédiatement après, que des étudiants de Cornell ont été indignés par l'interdiction des fêtes d'appartement ; ou que Nabokov a refusé d'écrire un article sur l'obscénité pour le Times Magazine ; ou encore qu’ à la fin du mois de janvier 1959, il était très occupé à travailler à un commentaire sur l’épopée russe intitulée Le Dit de la campagne d’Igor.
 
Avec les Nabokov, le lecteur entreprend un voyage fascinant à travers les États-Unis, admirant la beauté de ses espaces, parcourant des centaines de kilomètres à la recherche de papillons, discutant des détails domestiques de chaque hôtel et se réjouissant du fait que Lolita soit devenu un best-seller en un temps record, bien que le roman ait été interdit au Canada et à Paris. Nous découvrons que l'Anglais Minton est un excellent éditeur – ce qui n'est pas le cas de ses collègues français. Nous découvrons la délicatesse de Nabokov, qui a toujours peur d'offenser quelqu'un par inadvertance, les démêlés avec un certain Warren, qui a écrit une ballade musicale intitulée Lolita et qui exige l'exclusivité des droits d'utilisation de ce titre, ainsi qu'un coup de téléphone d'Hollywood proposant une adaptation cinématographique du roman, suivi de calculs complexes des droits d'auteur. L'amour pour son mari et l'inquiétude pour lui transparaissent dans chaque mot de Véra ; elle s'inquiète non seulement pour Vladimir Vladimirovitch, mais aussi pour ses personnages.
 
« J'aimerai pourtant que quelqu'un remarque la tendre description de l'impuissance de cette enfant, sa pathétique dépendance envers le monstrueux Humbert Humbert, et son courage déchirant tout au long, culminant dans ce mariage sordide mais essentiellement pur et sain, et sa lettre, et le chien... »
 
À travers tous ces sujets littéraires et quasi-littéraires, perce la personnalité de Véra – peut-être contre son gré – de par son sens de l'humour et de la dignité, ses remarques peu flatteuses sur Le Docteur Jivago, biffées dans le journal mais rétablies dans l'édition, ses positions de principe sur un certain nombre de questions importantes pour elle, y compris la question juive – Véra Nabokova-Slonim n'ayant jamais caché ses origines.
 
« Je déteste les gens qui "se mettent en avant", et voir des Juifs le faire me dégoûte encore plus – car notre honneur nous oblige à ne pas cautionner le préjugé selon lequel il s'agirait d'un trait typiquement juif. Dieu sait que j’ai connu un nombre considérable de Juifs très dignes, fiers et modestes – mais qui les remarque ? Ce sont les A. et tous leurs semblables qui sont responsables de cette généralisation dont pâtit tout le peuple juif ».
 
Comme vous voyez, aucun des thèmes n'a perdu de sa pertinence. La lecture de ce journal n'en sera que plus intéressante.
 
 
 

A PROPOS DE CE BLOG

Nadia Sikorsky a grandi à Moscou, où elle a obtenu un master de journalisme et un doctorat en histoire à l’Université d’Ètat de Moscou. Après 13 ans au sein de l’Unesco à Paris puis à Genève, et exercé les fonctions de directrice de la communication à la Croix-Verte internationale, fondée par Mikhaïl Gorbatchev, elle développe NashaGazeta.ch, quotidien russophone en ligne.

En 2022, elle s’est trouvée parmi celles et ceux qui, selon la rédaction du Temps, ont « sensiblement contribué au succès de la Suisse romande », parmi les faiseurs d’opinion et leaders économiques, politiques, scientifiques et culturels – le Forum des 100.

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