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L’accent russe | Le blog de Nadia Sikorsky

22.11.2020
Pedro Kranz dans son bureau à l'agence Caecilia. 2015 (c) N. Sikorsky)
« Il y a des gens irremplaçables. Mais surtout il n’est plus là celui vers qui je pouvais toujours me tourner pour trouver conseil et soutien », - telle a été la réaction spontanée de Galina Logutenko, directrice adjointe de la Philharmonie de Saint-Pétersbourg, à qui j’ai annoncé la triste nouvelle. « Je l’aimais beaucoup et je suis très triste », a réagi le pianiste Evgeny Kissin, qui collaborait depuis vingt ans avec Pedro Kranz. « Mes condoléances à nous tous », m’écrit un autre pianiste russe, Nikolaï Lugansky. La même chose du côté de la Suisse. « Pedro était un collègue respecté et respectueux. J’ai pu l’apprécier dès notre première rencontre à Bilbao il y a une soixantaine d'années, - se souvient maestro Charles Dutoit. - Récemment, nous avons eu le plaisir de partager quelques bonnes soirées ensemble et pu profiter de sa convivialité, de sa gentillesse et de son sourire communicatif. Sa disparition aussi soudaine a été un choc douloureux. Je conserve de lui et de sa merveilleuse épouse Vicky un souvenir ému ».
Charles Dutoit, Steve Roger, Martha Argerich, Pedro Kranz. Victoria-Hall, Genève, 2014 (Archive de Charles Dutoit)
« Pedro Kranz était plus qu’un ami. J’ai beaucoup appris de lui et j’avais encore tant à apprendre... Je garderai le souvenir d’un homme d’une immense culture en général et en musique en particulier. A 82 ans il avait encore l’envie et l’enthousiasme des débuts, toujours prêt pour de nouvelles aventures. Je suis fier d’avoir été son associé et d’avoir fait un bout de chemin avec lui et je souhaite à chaque artiste d’avoir un jour la chance de travailler avec quelqu’un qui lui ressemble... bien qu’il soit unique », a partagé Steve Roger, Directeur général 
de l’Orchestre de la Suisse Romande. « J'avais 22 ans, il y a de cela 33 ans maintenant. Étudiant à l'université, j'allais régulièrement au concert avec un ami.  Un soir, dans la grande salle du Conservatoire de musique de Genève, lors d’un concert de musique de chambre avec des œuvres de Borodine et Tchaikovski, je remarquais un très beau couple sur le rang devant moi. On sentait qu'ils s'aimaient beaucoup et que la musique était leur passion, leur vie. J’appris plus tard qu’il s’agissait de Pedro et Vicky Kranz. Cette image ne m'a jamais quitté », m’a confié Philippe Borri, un collaborateur de longue date de l’Orchestre de la Suisse Romande. Si j’avais contacté plus de personnes pendant le week-end, j’aurais pu rassembler davantage de témoignages, mais ce n’est pas la quantité qui compte. Ce qui ressort d’évident c’est que Pedro Kranz était unanimement aimé !
Vicky et Pedro Kranz et maestro Yury Temirkanov. Victoria Hall, Genève, septembre 2017 (c) N. Sikorsky
Au long des années notre relation professionnelle s’est transformée en une tendre amitié. Je n’ai eu qu’une seule fois l’occasion de l’interviewer. C’était il y a cinq ans. Le centenaire de Sviatoslav Richter, passé inaperçu en Suisse, nous servit de prétexte. C’est à cette occasion que j’ai découvert certains détails de la vie si riche de Pedro, né Piotr, en Tchéquie, en 1938, et que j’ai entendu quelques anecdotes « des vies des artistes » - oh combien nombreux sont ceux qui ont bénéficié de ses services, de sa bienveillance durant les 55 ans de sa carrière. Kirill Kondrashin, Gennady Rozhdestvensky, Mstislav Rostropovich, David Oistrakh, Sviatoslav Richter, Leonid Kogan, Yuri Temirkanov, Evgeny Kissin, Grigory Sokolov – pour ne citer que des grands noms de la culture russe. Mon seul regret aujourd’hui c’est de ne pas en avoir enregistré davantage, de n’avoir pas réussi à le convaincre d’écrire un livre car matière il y avait. Pedro Kranz a été un des derniers mohicans d’une profession unique et en voie de disparition, une profession qu’on n’enseigne nulle part – celle d’impresario. Dans cette profession tout tient sur des matières qui sont fragiles et qui ne s’achètent pas : la confiance, la décence, la réputation. Selon les propres mots de Pedro Kranz, pour y réussir il est primordial d’aimer les musiciens et de les accepter tels qu’ils sont avec tous leurs nombreux caprices. L’image scénique diffère souvent de la personne réelle qu’on fréquente. Pedro Kranz aimait et acceptait ses musiciens, lesquels le lui rendaient bien tout comme le public. Les abonnements à la série « Les grands interprètes » proposée par l’agence Caecilia en témoignent bien puisqu’ils se vendaient en quelques jours seulement et confirmaient la règle : l’offre déterminant toujours la demande ! Pedro Kranz avait travaillé dans l’agence Caecilia dès 1964. Employé d’abord, puis associé et propriétaire enfin. Il se donnait à son métier avec passion mais cela ne l’empêchait pas d’être un businessman pragmatique. II savait qu’il n’était pas éternel, et l’avenir de l’agence le préoccupait. Il a trouvé un repreneur, le travail va continuer. Tout restera-t-il « comme avant ? » C’est le temps qui le dira.
Pedro Kranz et Nadia Sikorsky, Saint-Pétersbourg, décembre 2018
Mais, aujourd’hui, je suis triste car je sais que je ne le croiserai plus jamais au Victoria Hall, que nous ne prendrons plus jamais un café ensemble sur la terrasse de « Lyrique », que le nom « Pedro Kranz » n’apparaîtra plus jamais sur l’écran de mon téléphone portable et que je n’entendrai plus sa voix, toujours prête â blaguer, me héler : « Coucou, Nadia, comment ça va ? » Je suis athée mais je veux croire de tout mon cœur que, désormais, avec sa Vicky adorée qui l’a précédé de deux années, ils peuvent – là-bas, de l’autre côté – s’adonner à leur passetemps favori : écouter une musique céleste loin de tous les soucis du monde. Paix à son âme. Светлая память.  
16.11.2020
(c) Dominique de Rivaz
Selon le récent sondage réalisé par Sotomo pour le compte de la SSR, la deuxième vague de Covid-19 a déclenché dans la population un coup de blues bien plus important que la première. Les mesures restreignant la liberté de mouvement personnelle restent, globalement, notre principale préoccupation. La plupart d’entre nous avons manqué les vacances d’été, puis celles d’octobre et quant à la période de Noël et Nouvel-An rien n’est plus qu’incertain. Nous rêvons de voyages ! Il est peu probable que la ville de Kaliningrad soit une priorité sur la liste des destinations de rêve des Suisses – certains ont peut-être appris son existence grâce aux quatre matchs de la Coupe du monde de football qu’elle a accueilli en 2018. Qui sait ? Peut-être d’autres en rêveront après avoir découvert le nouveau livre, ou plutôt le nouvel album de photos et de textes que présentent les Éditions Noir sur Blanc. Kaliningrad donc, que Cédric Gras appelle très justement « une séquelle topographique de la Seconde Guerre mondiale » car sa nouvelle vie a commencé au moment où « la Prusse a perdu son « P ». L’épellation de son nom se ressemble peu dans diverses versions linguistiques : Калининград en russe, Königsberg en allemand, Królewiec en polonais, Karaliaučius en lituanien) Aujourd’hui c’est une ville russe située dans une enclave territoriale, totalement isolée du reste du territoire russe, entre la Pologne et la Lituanie. Son histoire est indissociable de l’histoire des guerres européennes, toutes les sources l’attestent unanimement. On apprend que Kaliningrad se trouve sur le site de l'ancienne Königsberg (nom allemand qui signifie littéralement mont du roi, en l'honneur du roi Ottokar II de Bohême ayant pris part aux croisades dans la région), fondée en istoireles Prussiens. La ville fit partie de la Ligue hanséatique en 1340. À la suite des défaites des Chevaliers teutoniques dans leur lutte contre la Pologne et après la chute du château de Marienburg en 1457, Königsberg devint la capitale de l'Ordre teutonique. Lorsque, en 1525, le dernier Grand-maître de l'ordre, Albert de Brandebourg-Ansbach, sécularisa celui-ci, c'est tout naturellement que Königsberg devint la capitale du nouveau duché de Prusse qu'il venait de créer après sa conversion au luthéranisme. Lorsque le duché fut érigé en royaume par Frédéric III de Brandebourg en 1701, Königsberg devint vice-capitale royale avec Berlin. Elle fait partie du royaume de Prusse, puis de l'Empire allemand en 1871. Après la Première Guerre mondiale et la défaite allemande, elle est intégrée à l'État libre de Prusse – jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale. L'assaut de la ville par les troupes soviétiques, sous le commandement du maréchal Alexandre Vassilievski, commença le 6 avril et se termina le 9 avril 1945 par la capitulation de la garnison allemande. Königsberg fut renommée Kaliningrad le 4 juillet 1946, lorsque l'URSS reçut ce territoire en compensation des destructions et des pertes subies lors de la Seconde Guerre mondiale. La ville des rois s’est vue ainsi transformée en ville du président du Præsidium du Soviet suprême et membre du Comité central du Parti communiste, Mikhaïl Kalinine.
(c) Dmitri Leltschuk
C’est à la recherche des traces de ces deux empires, prussien et soviétique, que sont partis les deux photographes, une suissesse Dominique de Rivaz et un biélorusse Dmitri Leltschuk, un duo qui s’était formé lors de leur collaboration pour le livre « Hommes de sable de Choïna », paru en 2013 chez Noir sur Blanc. Toutes les photos de Dimitri sont en noir en blanc, ce qui leur confère un aspect « historique ». Toutes celles de Dominique sont en couleur, ce qui les rend plus humaines, plus proches de nous. Et parfois vice versa. Dans l’ensemble elles nous permettent d’explorer cette ville bourrée d’Histoire où, selon Dominique de Rivaz, le temps semble s’être arrêté mais où la population, qui approche un demi-million de personnes, bouillonne de vie. Néanmoins plusieurs questions demeurent sans réponses : par quel miracle un bas-relief ancien a-t-il survécu sur un immeuble moderne ? pourquoi les habitants ont-ils préféré donner à l’aéroport local le nom de l’impératrice Élisabeth plutôt que celui du philosophe Emmanuel Kant, qui est né et mort à Königsberg ? Que signifie un médaillon en argent où figurent, côte à côte, une étoile de David et une croix gammée ? Je crains que pour avoir des réponses il faille se rendre à Kaliningrad où le nouveau livre pourrait vous servir de guide. Alors bon voyage ! Et pour ceux qui lisent le russe, voici une interview de Dominique de Rivaz.        
29.10.2020
J’ai récemment donné mon premier séminaire, en anglais, aux étudiants de la Geneva School of Diplomacy, une institution privée située dans le quartier de l’ONU et autres organisations internationales, préparant justement les cadres à leur intention. Il y avait une soixantaine des jeunes dans ma classe, online et offline mélangés, de tous les coins du monde : Suisse, Italie, Inde, États-Unis, Kenya, Émirats… Tous charmants, très polis et témoignant de l’intérêt pour le sujet proposé : « Diplomats and journalists: the importance of being idealists ». Hélas, personne n’a saisi mon allusion à la célébré pièce d’Oscar Wilde, « The importance of being ernest », personne n’ayant lu la pièce et deux personnes seulement ayant vaguement entendu parler de l’auteur. Idem pour le Genevois Albert Cohen et sa « Belle du Seigneur » - bien que ce magnifique roman leur donnerait quelques indications bien utiles sur leur futur milieu professionnel demeuré presque inchangé depuis les années 1930. Reste que cela a ouvert le dialogue et permis d’aborder tout de suite la question d’identité, réelle et fausse, supprimée et exposée. Les enfants – qu’ils me pardonnent cette familiarité – sont entrés dans le jeu. M’étant présentée, je leur ai demandé d’en faire autant en ajoutant aux « nom/pays » habituels une rapide, et en une seule phrase, réponse à la question « Pourquoi veux-je devenir un diplomate ? » Une seule personne, une jeune femme de la Malaisie, a donné la réponse que j’espérais entendre de tous. « Je veux changer le monde pour le mieux », a-t-elle dit. Une idéaliste seulement sur soixante. Quelle déception ! Mais, comme on dit en français, la sauce a bien pris et notre échange – où j’avais limité la partie théorique au strict minimum – a été productif et, pour moi, très intéressant : ces jeunes avaient plein de choses à dire! Nous avons parlé des origines de nos métiers réciproques, des similitudes et des différences de nos « cahiers de charges », des moyens par lesquels nous formons l’opinion publique, des privilèges et des dangers, de la possibilité de garder son indépendance d’opinion, des qualités dont il faut disposer pour les exercer au mieux. Leur liste fut vite faite: convictions, honnêteté, persévérance, culture générale, esprit critique, bonne résistance psychologique… Nous avons examiné des cas concrets et hypothétiques. Nous avons également essayé de trouver la meilleure définition à la notion d’idéaliste, quelque part entre un rêveur ordinaire, un visionnaire et une personne qui croit aux valeurs supérieures… Malgré cette ambiguïté et au bout de deux heures d’une discussion fort animée, tous mes adorables interlocuteurs se déclaraient prêts à s’afficher avec une pancarte « Je suis un/une idéaliste ». C’est ainsi que je pense avoir accompli ma mission. Et si en plus ils se mettent à lire !..  
17.10.2020
Je ne peux pas rester silencieuse face à la nouvelle que j’ai appris en me levant ce samedi maussade, ce samedi du 21 siècle. Le siècle d’une avancée technologique sans précèdent mais clairement pas celui de(s) Lumière(s). Car il est bien sombre, notre siècle, et pas qu’à cause du Covid-19. Un prof d’histoire se fait décapiter sur la voie publique, non loin de son collège près de Paris, la ville des Lumières par définition. Son crime ? Il a montré à ses élèves des dessins faisant la satire de Mahomet lors d’un cours sur la liberté d’expression. Cela nous ramène à presque cinq ans en arrière – à la tuerie de la rédaction de Charlie Hebdo, en janvier 2015. Le procès est toujours en cours. Je peux comprendre le prof qui, surtout dans le cadre d’un cours sur la liberté d’expression, a voulu expliquer à ses élèves, qui étaient trop jeunes il y a cinq ans, le cœur du sujet, dans le sens figuratif. Et il a pris des précautions en prévenant l’audience que les images sont choquantes et en invitant les plus sensibles de sortir de la classe. Le résultat – c’est son propre cœur qui s’est arrêté de battre, dans le sens littéral. Pourquoi suis-je tellement touché ? Est-ce parce que l’assaillant est né à Moscou, comme moi? Est-ce parce qu’il avait 18 ans, comme mon fils ? Ou bien parce qu’en quelque sort les enseignants, surtout les enseignants des sciences humaines, et les journalistes, nous faisons la même chose : nous passons l’information, nous posons des questions, nous semons le doute. Et tout cela fâche les gens pleins des certitudes ! Je me demande comment se sentent aujourd’hui les parents qui ont porté plainte contre ce professeur – j’espère qu’ils se posent des questions, j’espère qu’ils doutent ! Je me demande aussi comment se sent leur enfant dont la sensibilité ils prétendait vouloir protéger et qui maintenant doit affronter ses camarades. Oui, les mots blessent, et il faut bien les choisir. Ils blessent, mais ils ne tuent pas. Les couteaux, les balles – ils tuent, eux. « Au commencement était la Parole et la Parole était avec Dieu, et la Parole était Dieu ». Tout le monde, chrétien ou pas, connait ses mots. Le don du Parole nous est donnée – par le Dieu, par le nature, que chacun choisit la source. Mais ce don magnifique qui nous distingue des animaux, nous l’avons. Pourquoi n’en profitons-nous pas pour s’expliquer, pour se comprendre ? Pourquoi certains représentants de la race humains se comportent comme des animaux ? Aucune idéologie, aucune religion, aucune conviction ne peut justifier un tel comportement. Le monde sans questions, sans doute, ne serait-il pas merveilleux et tellement plus facile à vivre ? Et non, car cela serait un monde sans réflexion, sans émotions, sans tête. Un monde décapité. Veut-on passer à nos enfants un monde décapité ?!    
09.10.2020
Photo (c) N. Sikorsky
Me voilà plongée depuis plusieurs semaines dans le monde de Józef Czapski, un homme au destin exceptionnel : humaniste, peintre, écrivain, véritable témoin de son époque. Un Homme avec un H très présent actuellement. La Fondation Jan Michalski à Montricher expose  (jusqu’au 17 janvier 2021) ses journaux intimes et ses peintures alors que les Éditions Noir sur Blanc annoncent la publication de deux livres le concernant. On serait presque tenté d’imaginer qu’esquisses et tableaux en seraient les illustrations. Czapski est l’auteur d’un de ces livres, « Terre inhumaine ». Grâce à la traduction du polonais par Maria Adela Bohomolec, nous apprenons l’histoire de cet aristocrate de naissance, né à Prague en 1886, qui a passé son enfance à Minsk, faisant alors partie de l’Empire russe. Il fit ses études à Saint-Pétersbourg où il perfectionna son russe – en plus du polonais, de l’allemand et du français – et s’imprégna de littérature et de philosophie russes. En 1916, étudiant en droit, il est appelé par l’armée polonaise où il fit « sa » Première guerre mondiale dans la cavalerie. Puis il étudia l’art à Cracovie et à Paris. Le 1er septembre 1939, premier jour de la Deuxième guerre, il est de retour à l’armée et se fait arrêter 27 jours plus tard par l’Armée Rouge. Malgré ses presque deux ans passés dans les camps soviétiques on peut dire qu’il fut chanceux puisqu’il n’était pas au nombre de ses 21 857 compatriotes fusillés de sang froid en avril-mai 1940 par les Soviétiques. L’URSS nia jusqu’en 1990 ce macabre crime, connu comme « le massacre de Katyn » (Andrzej Wajda a en fait un film, en 2007). Józef Czapski en ignorait l’existence quand, libéré du camp en septembre 1941, il accepta la mission que lui confiait le général Anders : retrouver ces Polonais qui s’étaient comme volatilisés dans les espaces soviétiques. Voilà bien une mission impossible, à la recherche des âmes mortes… ! Toutes les œuvres peintes par Czapski ont péri pendant la guerre. Mais son journal intime, qu’il rédigeait tous les jours de 1941 à 1992, a miraculeusement survécu – et il s’agit bien de 300 (!) cahiers.
Joseph Czapski. Journal, mai-juin 1955. Musée national de Cracovie. © Succession Józef Czapski
« Terre inhumaine » a été écrit en 1949 sur la base du journal des années 1941-42, et raconte le périple kafkaïen de son auteur. La plupart de l’action, (pour ainsi dire) se passe en territoire soviétique – j’y ai appris les noms de nombreux lieux dont j’ignorais l’existence. Czapski y décrit le cauchemar des camps, les atrocités et les épreuves de la guerre, mais il parle aussi, avec une admiration infaillible, de Tolstoï et resonge à Dostoïevski, Rosanov, Soljenitsyne… Il raconte avec une grande émotion sa rencontre avec Anna Akhmatova – à Tachkent, en 1943. La légende veut que la grande poétesse lui ait consacré un poème, un très beau poème. Comment cet homme qui, ayant souffert lui-même du régime soviétique et en ayant vu souffrir tant d’autres, a-t-il pu associer sa haine pour ce régime et son amour infaillible pour de nombreux Russes et leur culture ? En 1980, à l’âge de 84 ans donc, il illustra « Le Réviseur » de Gogol ! Était-il vraiment en saint, comme cela a été évoqué lors d’une table ronde à la Fondation Jan Michalski ? Nous n’irons pas jusqu’à là, mais il est évident qu’il savait faire la part des choses, il avait cette qualité qui manque tant aujourd’hui à nombre d’entre nous. Catholique, il dénonça l’antisémitisme « congénital » des Polonais – Vassili Grossman le fit pour les Russes, dans « La vie et le destin ». Hasard ? Ces deux livres ont été proposés aux lecteurs francophones par le même éditeur – Vladimir Dimitrievic, fondateur de « l’Age d’homme». Et quelle chance pour nous tous, les amateurs de la « littérature sérieuse », que Les Éditions Noir sur Blanc ont repris le relais, en rééditant certains livres dont les stocks sont épuisés depuis longtemps, dans le cadre du projet « La bibliothèque de Dimitri » dont j’ai déjà eu le plaisir de parler à mes lecteurs russophones. Pour revenir à Czapski, il s’est installé à Maisons-Laffitte, près de Paris, dès 1945, et a participé à la fondation de la revue littéraire phare de l’émigration polonaise, Kultura. Sans jamais pouvoir retourner dans son pays natal, il est décédé en 1993. Sa vie, vue de l’extérieur, est magnifiquement racontée par un Américain Eric Karpeles dans « Joseph Czapski : L’art et la vie », également paru il y a quelques jours chez Noir sur Blanc. Bonne découverte ! Eric Karpeles: Joseph Czapski. L’art et la vie. Editions Noir sur Blanc, 1 octobre 2020. Traduit de l’anglais (États-Unis) par Odile Demange. 155 images en couleur, 576 pages. 34 Euros/39 CHF Joseph Czapski: Terre inhumaine. Editions Noir sur Blanc, octobre 2020. Traduit du polonais par Maria Adela Bohomolec. Collection La bibliothèque de Dimitri. Première parution : L’Âge d’Homme, 1978 Préface de Timothy Snyder Texte inédit : « Le récit de Witold ». 448 pages, 23 Euros /29 CHF  

A PROPOS DE CE BLOG

Nadia Sikorsky a grandi à Moscou, où elle a obtenu un master de journalisme et un doctorat en histoire à l’Université d’Ètat de Moscou. Après 13 ans au sein de l’Unesco à Paris puis à Genève, et exercé les fonctions de directrice de la communication à la Croix-Verte internationale, fondée par Mikhaïl Gorbatchev, elle développe NashaGazeta.ch, quotidien russophone en ligne.

En 2022, elle s’est trouvée parmi celles et ceux qui, selon la rédaction du Temps, ont « sensiblement contribué au succès de la Suisse romande », parmi les faiseurs d’opinion et leaders économiques, politiques, scientifiques et culturels – le Forum des 100.

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