Les lauréats du prix littéraire "Dar" sont annoncés. La gagnante le refuse

26.05.2025

Samedi dernier, les premiers résultats du prix littéraire « Dar » créé en Suisse il y a un peu moins d'un an ont été annoncés. Malheureusement, cette nouvelle qui semblait réjouissante a pris une tournure inattendue. Mais était-ce vraiment une surprise ?

En septembre 2024, je vous ai parlé du prix littéraire « Dar », qui consiste en une bourse pour la traduction en anglais, allemand et français, et qui a été créé par l'écrivain Mikhaïl Chichkine, résidant depuis longtemps en Suisse, en collaboration avec des slavistes suisses. Or voilà qu'à peine un an plus tard les lauréats de la première édition ont déjà été annoncés.

Douze auteurs, sélectionnés par un comité d'experts, ont participé au concours. Selon les nombreux membres du jury composé d'écrivains, de littéraires, de réalisateurs et de musiciens de renom, le premier prix a été décerné au livre de Maria Galina intitulé Près de la guerre. Odessa. Février 2022 – février 2023. Maria Galina est une écrivaine russo-ukrainienne. Née à Kalinine, en Russie, elle a ensuite vécu à Kiev, puis à Odessa, puis, depuis 1987, à Moscou. En 2021 elle a choisi de vivre à Odessa – pour « être avec son peuple », selon ses dires.

Concernant le vote des lecteurs, c'est le roman Le sourire de Shakti, de Sergueï Soloviev – né à Kiev, résidant à Munich et passionné par l’Inde –, qui a remporté le Prix du public.

« Le prix littéraire “Dar” félicite les lauréats et remercie tous ceux qui ont participé à l'organisation, au financement et au fonctionnement du Prix, ainsi qu'au vote des lecteurs ! Nous souhaitons bonne chance à tous les écrivains qui ont soumis leurs livres au concours et annonçons l'ouverture de la deuxième saison du prix le 1er septembre 2025 », ont écrit les organisateurs après l'annonce des résultats du vote.

Cependant, peu après la publication des résultats, il a été annoncé que Maria Galina avait refusé le prix. Voici le texte qu'elle a publié sur Facebook :
« Chers membres du jury, chers organisateurs ! Je vous remercie pour votre choix. Comme vous le savez, et comme je l'ai déjà écrit dans ma lettre ouverte, je souhaitais vivement que ce livre soit lu, et notamment par les personnes qui ont une influence. Cependant, je ne pense pas qu'en étant dans un pays bombardé par des missiles russes qui tuent des civils, je puisse, même sous cette forme, soutenir la langue et la culture qui sont officiellement devenues (et restent) l'une des raisons de l'attaque contre l'Ukraine, sous prétexte de la défendre. Hier encore, des missiles russes ont frappé Odessa. Des gens ont été tués. Cette nuit, Kiev a brûlé.
J'ai grandi, comme nous tous, dans la culture russe (je ne m'étendrai pas ici sur les raisons de la domination de la culture russe à Kiev et à Odessa), j'aime et je continue d'aimer ceux qui me sont chers. Mais malheureusement, l'agression russe contre l'Ukraine que je considère comme ma patrie m'a placée devant un choix difficile, mais c'est le mien. Nous sommes sans doute tous responsables du terrible revers subi par la langue et la culture russes, et nous en payons tous le prix, chacun à sa manière.
J'espérais vraiment ne pas avoir à écrire cela. Je regrette beaucoup que ce prix, qui était une bonne initiative, puisse involontairement devenir un scandale médiatique. Je sais que le lauréat a droit à des traductions en langues européennes, et j'aimerais beaucoup voir mon livre traduit dans ces langues. Ce n'est pas seulement la vanité normale d'un auteur, c'est aussi le désir de raconter aux gens le prix terrible que nous payons pour les ambitions politiques d'autrui. Mais peut-être que ma voix sera entendue malgré tout.
Je ne pense pas que le livre Près de la guerre possède des qualités littéraires exceptionnelles. Je pense que le choix du jury est plutôt motivé par des considérations politiques et, dans une certaine mesure, par la sympathie qu'il éprouve pour l'Ukraine. L'Ukraine a moins besoin de sympathie que d'une aide active, mais c'est une autre question. À mon avis, le jury a fait un choix politique. Mais tout choix politique dans le cadre d'un prix littéraire peut avoir des conséquences très diverses.
Je suis une personne très douce. J'ai toujours eu peur de blesser quelqu'un, de provoquer le mécontentement de quelqu'un. Mais j'observe et je continue d'observer comment la langue et la culture deviennent l'objet de manipulations politiques. De plus, la question linguistique est utilisée pour agiter la situation en Ukraine. C'est pourquoi je vais tout de même prendre le risque de mécontenter le jury et de renoncer au prix. Tout ce que je pense de la situation actuelle au sein de la culture russe se trouve dans ma lettre ouverte. Cette lettre est écrite en russe, c'est probablement l'une des rares occasions que j'ai de m'exprimer dans la langue qui a été la mienne pendant la majeure partie de ma vie. »
(Le texte complet de la lettre ouverte de Maria Galina, rédigée en ukrainien et en anglais, peut être lu sur le site du Prix "Dar".)

Mikhaïl Chichkine, pour sa part, après avoir félicité les lauréats, a expliqué sur Facebook qu'« il ne s'agit pas ici de “culture russe ” ni de “littérature russe”. Tous ces concepts appartiennent déjà au lexique historique. La langue russe n'appartient ni à la plus grande zone de la planète, ni à la racaille nazie sur le trône, ni à la mère patrie dont la bouche est remplie de cadavres. Ceux qui vivent et écrivent en russe en Ukraine, en Lituanie, en Israël, en Biélorussie, en Amérique et dans d'autres pays ne sont pas des “écrivains russes” et ne font pas de “littérature russe”. Ils vivent dans leur pays et font leur propre littérature. Et c'est ainsi que cela doit être dans un monde où ce n'est pas le “don de l'obéissance” qui règne, mais le don de la compréhension. La “littérature russe” est restée dans les manuels scolaires. Nous nous trouvons dans un nouvel espace culturel et historique de la littérature en langue russe. Je partage cet espace de notre culture mondiale avec les Juifs, les Ukrainiens, les Géorgiens, les Polonais, les Américains, tous les peuples de la planète Terre pour qui cette langue, ma langue, est une forme de vie. C'est dans cet espace de libre création en langue russe que réside notre avenir. Notre langue est le dialecte russe de la dignité humaine. »

Il y a un an, en tant que rédactrice de Nasha Gazeta, j’ai soutenu la création de ce prix, et je ne regrette pas cette décision. Mais j'étais et je reste contre la politisation de la culture. Je peux comprendre Maria Galina. Mais je ne suis pas d’accord avec l'idée que la culture et la littérature russes sont mortes. Ne serait-ce que parce que les morts suscitent rarement autant d'émotions. Evidemment, tout cela est dû à la maudite guerre. Plus elle dure, plus le dialogue devient difficile, même entre personnes parlant la même langue. Le russe. Mais c'est précisément dans cette langue, et non dans un « dialecte », que Nasha Gazeta continuera à s'efforcer de maintenir un dialogue fragile, quoi que vital à mes yeux. Je ne sais pas combien de temps je vais encore tenir. 

Le jury du Prix « Dar » cherche une solution, une issue à cette situation triste mais prévisible. Dès qu'une décision sera prise, je vous en informerai.


 

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