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L’accent russe | Le blog de Nadia Sikorsky

27.06.2023
(DR)

C’est ainsi que, dans un de ses récents communiqués, le Gstaad Menuhin Festival a intitulé sa grande soirée du 12 août à venir.  J’espère que vous serez nombreux à y assister car, à elle seule, la Symphonie n° 9 de Dimitri Chostakovitch mérite le déplacement.

Christoph Müller, le directeur artistique du Festival, a placé sa 67ème édition sous le signe de l’“Humilité”. Humilité non dans le sens commun de modestie, ni dans le sens religieux. Il s’agit de l’humilité devant la Nature ; de l’acceptation de ses lois.

« Plusieurs crises centennales ont surgi coup sur coup et déstabilisé à plus d'un titre un équilibre en place depuis plusieurs décennies. Une pandémie nous a brutalement rappelé combien fragiles étaient les ressources vivantes et organiques de cette planète. Il suffit d'ouvrir les yeux pour se rendre compte que le changement climatique n'est pas une lubie de scientifiques en quête de sensationnel mais une réalité tangible, un processus en marche dont les conséquences sur notre planète sont déjà parfaitement perceptibles dans notre environnement immédiat », écrit-il dans l’édito sur le site du Festival.

Dimitri Chostakovitch fut une personne humble, de santé fragile, mais dotée d’une redoutable force d’esprit. Dans son récent ouvrage sur le roman soviétique, Dominique Fernandez a salué la capacité de résistance du compositeur qui se manifestait, selon ce membre de l’Académie française, dans ses œuvres délibérément plus faibles. De toute évidence, l’admiration devant le génie musicale et les qualités humaines de Chostakovitch fait l’unanimité, car même le Verbier Festival, le premier à se distancier de la Russie suite au début de la guerre en Ukraine, a inclus trois de ses symphonies – n° 1, 4, et 15 – dans son programme de 2022.

La Neuvième de Chostakovitch est une symphonie a part entière, et ceci pas seulement à cause de sa brièveté – vingt-cinq minutes seulement. Dernière de la tétralogie des symphonies connues comme « symphonies de guerre » (composées entre 1939 et 1945, toutes sont au cœur d’un excellent documentaire signé par le réalisateur canadien Larry Weinstein), elle est la seule à avoir être écrite sur commande émanant du gouvernement soviétique. Quelle sublime perversité ! Lui dont on avait pratiquement prononcé la sentence de mort formulée dans le tristement célèbre article « Cacophonie au lieu de la musique » inclus dans la Pravda du 28 janvier 1936 – ceci en guise de la critique de « Lady Macbeth de Mtsensk » –, lui dont on avait arrêté plusieurs proches et amis… voilà que ce même pouvoir central ne voyait nul inconvénient à continuer d’utiliser les services du Génie. Et voilà donc qu’en 1943, lorsque la Septième symphonie, dite “Leningrad”, donnait la chair de poule aux mélomanes du monde entier de par sa bouleversante “description” de l'invasion de l’Union soviétique par les nazis, puis que la Huitième, déjà terminée et centrée sur la bataille de Stalingrad, n’était pas encore présenté au public, la commande suprême tombait. Elle était claire : la nouvelle symphonie devait glorifier le peuple soviétique guidé par Staline et annoncer la victoire imminente.

Il faut savoir que Dimitri Chostakovitch a essayé à deux reprises de rejoindre l’armée pour défendre son pays, mais que ses demandes furent déclinées pour les raisons de santé. Chostakovitch était de tout cœur avec ses compatriotes ; ayant foi en la victoire, il a donc accepté la commande sans hésiter. En octobre 1943 il annonçait publiquement son nouveau projet, s’engageant à composer une grande symphonie avec chœur, à l’image de la Neuvième de Beethoven. Mais le travail s’est avéré difficile : au début de l’année 1945, la première partie n’était pas encore composée. Finalement, le compositeur a drastiquement changé son plan initial : en lieu et place d’un hymne pompeux il a écrit une œuvre qu’il a lui-même qualifié de « souffle de soulagement après des années sombres, avec un espoir pour l’avenir ».

Staline appréciait peu les souffles de soulagement, leur préférant les derniers souffles. Il est bien connu que la première exécution de la symphonie, le 5 novembre 1945 à Leningrad, par l’Orchestre philharmonique de Evgeni Mravinski, provoqua la colère de Staline, qui n’y a pas perçu l’ apothéose commandée. Nominée au Prix Staline en 1946, la Neuvième ne l’a finalement pas reçu. Deux ans plus tard, en février 1948, l’ordonnance du Comité central du Parti communiste concernant l’opéra de Vano Mouradeli « La grande amitié », qualifiait la musique de Chostakovitch, Prokofiev et Khatchatourian de “formaliste” et “antipopulaire”. Dimitri Chostakovitch fut contraint de démissionner des Conservatoires de Moscou et de Leningrad ; sa Neuvième symphonie ne fut plus jouée jusqu’au 1955 – soit après la mort de Staline. Chanceux sont ceux qui vont la découvrir le 12 août à Gstaad !

… Qu’aurait fait Chostakovitch, eût-il reçu une telle commande aujourd’hui, dans un contexte radicalement opposé ? J’espère qu’il l’aurait refusé, mais je suis heureuse qu’il n’ait pas vécu jusqu’au jour de devoir prendre une telle décision.

19.06.2023
Photo © N. Sikorsky

Je suis certaine que la majorité parmi vous n’ont jamais visité de prison russe. Tant mieux pour vous ; or cela m’oblige à vous expliquer quelle est la construction étrange portant le mot ШИЗО écrit en cyrillique – en énormes caractères rouges – qui est apparue à Genève samedi dernier.

ШИЗО (SHIZO) est une abréviation de « штрафной изолятор », cellule d’isolement de sanction ou cellule disciplinaire, l’équivalent de « mitard » en français. Une personne détenue peut y être placée à titre de sanction en cas de faute disciplinaire. En Russie, une telle cellule mesure 2,5 x 3 m ; les détenus qui s’y trouvent sont privés de la plupart des droits des détenus ordinaires : pas de rendez-vous, pas d’appels téléphoniques, pas de messages ni banderoles. Ils ne peuvent rien acheter ni fumer, et leurs possessions sont minimales : du papier toilette, une brosse à dents, du savon, une serviette. Selon la loi, un détenu ne doit pas rester dans un « shizo » plus de quinze jours à la suite. J’imagine qu’une période plus longue le rendrait fou : shizo – schizophrénie ?

Selon les informations disponibles à la fin mars 2023, le leader de l’opposition russe Alexeï Navalny, interné dans la prison à régime sévère N° 6, située dans la région de Vladimir, à quelques 150 km de Moscou, a déjà été envoyé douze fois dans ce genre de cellule, parfois alors qu’il avait de la fièvre.

© N. Sikorsky

La création d’une installation représentant une réplique de la cellule de prison d’Alexeï Navalny et l’organisation de sa « tournée européenne » – si on peut l’appeler ainsi –, sont les premières actions coordonnées par les supporters de Navalny depuis quatre ans. La première ville à l’accueillir a été Berlin – la réplique y fut installée le 24 janvier 2023 devant l’ambassade russe. Un choix logique : c’est à son retour de Berlin, le 17 janvier 2021, qu’Alexeï Navalny avait immédiatement été arrêté à l’aéroport de Moscou. Le 4 mars l’installation a déménagé à Düsseldorf, puis à Paris, où elle a été placée près du Louvre ; le 9 mai elle a pu être visitée par les habitants de La Haye ; après quoi, dès le 19 mai et deux semaines durant, elle est restée sur la place Staroměstské, au centre de Prague.

La voilà maintenant à Genève, à un endroit quasi incontournable pour ce genre d’action : la Place des Nations, face à l’entrée centrale de l’ONU, tout près de la mission russe. Je me suis rendue à l’inauguration qui a eu lieu samedi dernier à 14 heures. Il y avait peu de monde, mais la manifestation était protégée par des volontaires en T-shirts noirs portant l’inscription « #FreeNavalny » ainsi que par deux gentils policiers genevois. Vous allez être surpris : la protection s’est avérée nécessaire. Notre paisible Genève s’est distinguée des cinq autres villes par un petit incident. Deux gaillards de constitution athlétique sont apparus et ont commencé à jeter des œufs sur les manifestants. Hélas, il a été impossible d’attraper les malfaiteurs partis en courant afin d’établir leurs identités. Un œuf a touché le nez d’Ivan Zhdanov, camarade d’Alexeï Navalny et directeur de la Fondation anti-corruption, et a sali sa chemise noire. Pourtant, ce geste hostile n’a pas perturbé Ivan, bien qu’il ne s’y soit pas attendu dans la ville de Genève.

© N. Sikorsky

« Il faut comprendre que “SHIZO” n’est pas juste une installation artistique ; elle fait partie d’une grande campagne internationale dont le but est la libération d’Alexeï Navalny, m’a-t-il expliqué. C’est pourquoi il est très important pour nous, dans chaque ville où elle arrive, d’expliquer aux représentants du pouvoir et à la presse locale, y compris la presse russophone, ce qui arrive à Navalny, comment il est traité. Plus on en parle, plus de personnes apprennent la vérité, et plus il aura de chances de traverser ces épreuves et de s’en sortir. Mais tant que Vladimir Poutine restera au pouvoir, ses chances sont très limitées ».

Au moment de cette conversation aucun représentant de l’establishment genevois n’a encore été remarqué sur la Place des Nations ; on les attend durant la semaine. De Genève, où elle restera jusqu’au 18 juin, l’installation partira à Bruxelles : elle y sera placée prés du Parlement européen.

… Un collègue journaliste qui a eu l’occasion de visiter une prison iranienne dans le cadre de son activité professionnelle, a fait cette remarque : « C’est encore pire, là-bas. Ici au moins il y a un matelas et une petite fenêtre ». Tout est relatif, bien sûr. Souhaitez-vous tester le confort de ce maigre matelas ou regarder le ciel genevois à travers la fenêtre d’une cellule de prison russe ? Les visites, tous les jours de 9h00 à 21h00, sont gratuites.

08.05.2023
Horst Tappe. Vladimir Nabokov, Le Montreux Palace, 1965 © Fondation Horst Tappe | Keystone | Horst Tappe

Il faut de l’audace, diront certains, pour consacrer, dans le contexte actuel, une exposition à une personnalité d’origine russe, et ce dans différentes langues. Il faut de la chutzpah, dirait en yiddish Vera Nabokov, l’épouse juive de l’immense écrivain huit fois nominé au Prix Nobel de littérature. Un écrivain dont Russes, Américains et Suisses se disputent aujourd’hui « l’appartenance ». Car c’est bien lui le héros de l’exposition « Vladimir Nabokov : rivages de l’écriture », ouverte vendredi dernier et visible jusqu’au 3 septembre à la Fondation Jan Michalski à Montricher. Sa fondatrice, Vera Michalski-Hoffmann, également à la tête de la maison d’édition Noir sur Blanc dont je vous présente souvent les publications, a pris position dans les tout premiers jours de la guerre, en disant : « En ce temps de guerre, nous sommes en pensée avec le peuple ukrainien qui souffre et se bat, et avec tous les Russes qui refusent ce conflit. Ils sont nombreux. » Tout est dit et il n’y a pas lieu de craindre d’être mal comprise.

Les amateurs de l’œuvre de Vladimir Nabokov (1899-1977) souriront en voyant le titre de l’exposition et penseront tout de suite à son livre autobiographique, Autres rivages, paru en russe en 1954 aux Éditions Tchekhov à New York et réédité trente fois depuis. La version anglaise, Speak, Memory, est parue en 1966.

J’ai lu « mon » premier Nabokov à l’âge de quatorze ans : on m’avait prêté, pour vingt-quatre heures, le quatrième des six exemplaires de Lolita dactylographiés sur une machine à écrire à l’aide de papier carbone – mes enfants ne sauront même pas ce que c’est mais les lecteurs plus âgés imagineront la qualité ! Il est évident qu’aujourd’hui un tel roman, controversé à l’époque, ne pourrait simplement pas être publié et, s’il l’était tout de même, l’auteur se retrouverait en prison. Nabokov, qui avait considéré son roman comme très sérieux fut désespéré par le scandale qu’il avait engendré. Encore un prophète incompris ? Le monde aurait-il été meilleur sans Lolita ?

Les livres de Nabokov, dans l’original russe ou traduits de l’anglais, ne sont devenus accessibles au public soviétique qu’à la fin des années 1980, après l’arrivée au pouvoir de Mikhaïl Gorbatchev. Interdit pendant des décennies, l’écrivain a été déclaré « trésor national » : ni dans le premier cas, ni dans le deuxième, nul n’avait demandé son avis.

Je suis certaine que Vladimir Nabokov aurait été opposé à la guerre en Ukraine, sa vie ayant été traversée par deux conflits mondiaux et son frère Sergueï ayant disparu dans un camp nazi. Je fais référence à lui dans mon « duel épistolaire » avec Iegor Gran publié dans le magazine « T » et dont la mise en scène sera présentée le 11 mai au Grand Théâtre de Genève. Je fais référence à lui car, à mes yeux, il fut, en son temps, aussi déchiré entre son amour pour la Russie et son incompréhension à l’endroit des agissements de celle-ci que moi et mes amis le sommes aujourd’hui. Vladimir Nabokov n’était ni un tendre, ni un sentimental, et personne ne douterait de son profond antisoviétisme. Et pourtant, depuis qu’il s’était retrouvé en exil à l’âge de vingt ans, laissant derrière lui la vie d’un aristocrate de Saint-Pétersbourg, une immense fortune et ses études au prestigieux collège Tenichev où le poète Ossip Mandelstam avait étudié quelques années plus tôt, il n’avait cessé d’interpeller sa patrie. C’est son poème À la Russie (K Rossii) que je trouve le plus déchirant. Écrit à Paris en 1939, quelques jours après la signature du pacte Molotov-Ribbentrop, c’est un vrai cri du cœur dans lequel il met en question sa langue, son nom, ses souvenirs, ses livres préférés, tout ce qui lui est cher, tout ce qui constituait son identité. Ce poème commence ainsi : « Lâche-moi, je t’en supplie ». Difficile de se débarrasser de cette Russie qui n’existe peut-être plus que dans notre imagination nostalgique !  De toute évidence, malgré toute sa volonté Nabokov n’y a pas réussi : dans son tout dernier poème écrit à Montreux en 1967, il retourne à son enfance dans le domaine familial de Rojdestveno.

C’est la photo de Rojdestveno qui ouvre l’exposition de Montricher : le point de départ et le point de retour – retour imaginaire, car Nabokov n’est jamais retourné en Russie. Entre ces deux points : les adresses en Russie, en Angleterre, en Allemagne, en Tchécoslovaquie, en France, aux États-Unis et, finalement, en Suisse. D’abord à l’hôtel Montreux Palace, puis au cimetière de Clarens. (Le déménagement en Suisse au début des années 1960 et l’abandon de son activité pédagogique ont été rendus possibles grâce à la vente des droits de Lolita à Stanley Kubrick pour son futur film.)

L’exposition de Montricher, riche en documents, photographies, dessins, manuscrits, éditions originales et correspondances (parmi lesquelles j’ai trouvé particulièrement intéressante celle autour de Lolita) est construite selon quatre chapitres : Chapitre I – Une jeunesse russe 1899-1919 ; Chapitre II – Exil européen 1919-1940 ; Chapitre III – Métamorphoses américaines 1940-1960 ; Chapitre IV – Derniers rivages européens 1960-1977.

En 1964, dans une interview accordée au magazine Playboy, Nabokov s’est défini ainsi : « Je suis un écrivain américain, né en Russie, formé en Angleterre où j’ai étudié la littérature française avant de m’installer pour quinze ans en Allemagne ». Un vrai « cosmopolite » donc – terme péjoratif en URSS comme dans la Russie d’aujourd’hui.

… Le 9 mai, comme chaque année, je me rendrai sur la tombe d’Elena Sikorsky-Nabokov, la sœur de l’écrivain, qui fut avec sa femme Vera sa première lectrice et confidente ; une des rares personnes à qui il dédicaçait ses livres, dont certains sont exposés à Montricher. Une des rares croix orthodoxes au cimetière du Grand-Saconnex est la sienne. Arrivée à Genève en 1947 en provenance de Prague, cette grande dame qui maîtrisait six langues travaillait à la bibliothèque du Palais des Nations ; elle est décédée, apatride, en 2000, à l’âge de quatre-vingt-quatorze ans. À peine deux mois avant sa disparition je lui ai confié, pour lui remonter le moral et avant tout le monde, que j’attendais mon premier enfant. Sa réaction a été immédiate : « Promets-moi qu’il parlera notre langue ». J’ai tenu parole.

13.04.2023
Maison des écrivains, Moscou, 1964

Parmi les trésors d’internet, on trouve cette photo prise à Moscou en 1964. Vous y reconnaîtrez facilement Marlène Dietrich, bien sûr. Mais qui donc est cet homme à qui la grande dame, agenouillée, baise la main ? Il s’agit de l’écrivain soviétique Constantin Paoustovski (1892-1968), nominé trois fois pour le prix Nobel de littérature et très peu connu en Occident – car très peu traduit. Après être tombée par hasard sur une traduction anglaise de son récit Télégramme (1946), Marlène Dietrich en fut bouleversée à tel point qu’elle se mit en tête de rencontrer son auteur.

Constantin Paoustovski est « un autre romancier soviétique, aussi doué, aussi original, [dont] les historiens de la littérature n’ont pas pris la mesure, quand ils ne l’ignorent pas purement et simplement. La gigantesque Histoire de la littérature russe de Fayard, ouvrage collectif, rédigée en partie par des Russes, dont les trois volumes dédiés au XXe siècle remplissent trois mille pages, ne lui consacre ni un chapitre ni même une page entière », écrit Dominique Fernandez de l’Académie française dans Le roman soviétique, un continent à découvrir, une étude de plus de cinq cents pages parue chez Grasset.

« Un livre sur le roman soviétique, maintenant ? Précisément maintenant : comme le disait Romain Rolland pendant la Grande Guerre, ce n’est pas parce que les Allemands l’ont voulue que nous allons renier Goethe », lisons-nous sur la couverture. La question est légitime, mais l’auteur assume la réponse. Il est même content que ce livre qu’il « porte en lui » depuis soixante ans paraisse maintenant, justement, bien que ce ne soit qu’une coïncidence. Il est content car « comme avant il ne fallait pas confondre tous les Russes avec Staline, aujourd’hui il ne faut pas tous les confondre avec Poutine », dit-il, horrifié par la guerre en Ukraine mais aussi par les tentatives d’annihiler la culture russe, dont il reste amoureux – son Dictionnaire amoureux de la Russie (Plon, 2004) est un témoignage éloquent de cet attachement.

Adolescent, il a été introduit dans « une maison russe » parisienne du prince Igor Demidov et de son fils, appelé également Igor. À l’âge de quinze ans, Dominique Fernandez a lu Guerre et Paix de Tolstoï « en trois jours et trois nuits ». Dès le début de sa carrière de critique littéraire, en 1955, il a commencé à écrire sur les auteurs russes – Ilya Ehrenbourg (à qui nous devons le terme « Dégel » pour désigner une période de libéralisation de la littérature en URSS), Vera Panova, Constantin Simonov, Sergueï Antonov… Il est l’auteur de Les Enfants de Gogol (Grasset, 1971), Eisenstein (Grasset, 1975), Place Rouge (Grasset, 2008), Avec Tolstoï (Grasset, 2010)… Tout cela sans pour autant se considérer comme un slaviste.

Dans une interview d’une heure que Dominique Fernandez m’a accordée, ce jeune homme de quatre-vingt-treize ans qui a lu sept cents (!) romans russes (« tout ce qui a été traduit en français »), n’a pas oublié une seule date, n’a pas hésité une seule fois sur un nom ou sur un titre. Son esprit est aussi clair que le sont ses propos et le but déclaré de son ouvrage « consacré aux romanciers russes qui ont assumé l’appellation de soviétiques ». « Doit-on pour autant les ignorer, et, si on ne les ignore pas, les accabler de mépris parce qu’ils sont restés en Russie, ont publié librement et fait carrière en URSS, et même pour certains, reçu des prix Staline et occupé des postes officiels dans la haute administration des biens culturels ? Est-il vrai qu’ils étaient tous vendus au pouvoir ? Que certains n’avaient pas une foi sincère dans le communisme et dans les conquêtes de la Révolution ? Que d’autres n’avaient pas trouvé le talent de déjouer la censure ? L’allégorie, la science-fiction, l’humour, si souvent présents dans les romans de cette époque, n’ont-ils pas été pour ceux qui les maniaient, avec une virtuosité inconnue en Occident, des moyens de se désolidariser des succès du régime qu’ils feignaient d’encenser ? »

Toutes ces questions, Dominique Fernandez les applique, cas par cas, à plus de quarante auteurs, nous racontant leurs vies et leurs œuvres, leurs illusions et leurs désillusions. Sans porter de jugement, il explique aussi bien le contexte historique que les circonstances personnelles de chacun d’eux, en les rendant plus humains et plus proches de nous. « Virgile a écrit l’Énéide sur commande pour glorifier l’empereur Auguste, mais on oublie tout cela », m’a-t-il dit, défendant le droit du créateur de faire partie de son époque et de s’en échapper.

Un livre pour tous ceux qui s’intéressent à la littérature et à l’histoire russes du XXe siècle, avec tous leurs paradoxes.

A PROPOS DE CE BLOG

Nadia Sikorsky a grandi à Moscou, où elle a obtenu un master de journalisme et un doctorat en histoire à l’Université d’Ètat de Moscou. Après 13 ans au sein de l’Unesco à Paris puis à Genève, et exercé les fonctions de directrice de la communication à la Croix-Verte internationale, fondée par Mikhaïl Gorbatchev, elle développe NashaGazeta.ch, quotidien russophone en ligne.

En 2022, elle s’est trouvée parmi celles et ceux qui, selon la rédaction du Temps, ont « sensiblement contribué au succès de la Suisse romande », parmi les faiseurs d’opinion et leaders économiques, politiques, scientifiques et culturels – le Forum des 100.

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