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L’accent russe | Le blog de Nadia Sikorsky

16.04.2024
(DR)

Le Palace, la comédie noire de Roman Polanski ayant eu don de susciter les réactions polaires, est sortie sur les écrans suisses – d'abord dans la partie alémanique et maintenant en Romandie. L'accueil réservé a provoqué notre curiosité.

 Depuis 2009, soit à peu de choses près depuis le début de l'existence de Nasha Gazeta, je suis la triste saga du célèbre réalisateur franco-polonais Roman Polanski : le 26 septembre de cette année-là, la police procédait à son arrestation quasiment à même le tapis rouge du Festival du film de Zurich où il devait, le lendemain, recevoir un prix pour sa contribution à l'art. La cérémonie s’était alors vue reportée : c’est qu’en 1978, accusé d'avoir violé une jeune fille de 13 ans, Polanski avait dû quitter les États-Unis pour Londres, puis pour la France. Or il s’avérait que l'affaire n'était pas close et qu’un mandat d'arrestation, émis par un tribunal américain il y a plus de 30 ans, était toujours valable, de sorte que la police suisse le plaçait en détention. Depuis lors libéré, Polanski ne se sent pas pour autant le bienvenu en Suisse. C'est du reste pourquoi il a refusé de participer au Festival international de Locarno en 2014.

 Le choix du lieu de tournage de son dernier film, Le Palace, n'est sans doute pas fortuit : c'est à Gstaad, l'une des stations de montagne suisses les plus en vogue, que le réalisateur dut passer près d'un an en résidence surveillée, en attendant que justice soit faite. On pourrait même penser que sa satire de la société locale constitue sa petite vengeance ; auquel cas, personne ne pourrait lui reprocher de ne pas maitriser son sujet.

  Le tournage, qui s'est donc déroulé à Gstaad, fut promptement expédié : de février à juin 2022. La “première” eut lieu hors compétition lors de la 80e Mostra de Venise en 2023. Le film reçut une ovation de trois minutes. Le 28 septembre de la même année, il sortait en Italie et le 3 octobre il était présenté au Festival du film de Zurich. Il a ensuite pu être visionné en Pologne, en Russie, en Hongrie, en Lituanie et en Bulgarie. Dans le même temps, il ne se trouvait aucun distributeur aux États-Unis ni en Grande-Bretagne : il est possible que leurs experts n'aient vraiment pas aimé le film (le critique de Time Out a dit de lui : "Eurotrash hotel farce - an absolute stinker") ; peut-être aussi a-t-il déplu pour des raisons morales – les critiques d'art se prennent parfois pour des puritains ! Cela dit, si l'on en croit la RTS, lorsque le film a été projeté fin 2023 à Gstaad, il a attiré un nombre record de spectateurs au sein du cinéma local. Apparemment, les habitants ont un bon sens de l'humour et comprennent qu'« il ne faut pas blâmer le miroir (lire : le réalisateur) quand... ». Et ainsi de suite, selon le célèbre texte de Gogol.

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 En général et à mon humble avis, le film s'inspire beaucoup de Gogol, et ceci outre les « noms de famille parlants » tels que Bill Crush. Tout comme dans la comédie Le Révizor, où l’ensemble de la noblesse d'une ville de province apparaît au spectateur, ici, c'est la noblesse internationale qui est montrée. La variété des clients de l'hôtel le plus chic de la station est aussi internationale que les acteurs qui interprètent leurs rôles. L'allemand Oliver Masucci est magnifique dans le rôle du directeur de l'hôtel Hansueli Kopf ; la star française Fanny Ardant dans celui de la marquise qui ne dédaigne pas la compagnie d'un plombier polonais, reconnaissable grâce aux vielles affiches de l'UDC n'ayant rien perdu de leur pertinence. L'Anglais John Cleese est splendide dans le rôle du milliardaire Arthur William Dallas III, 97 ans, venu à Gstaad pour célébrer son premier anniversaire de mariage avec sa plantureuse épouse de 22 ans, Magnolia : hélas le cœur du gentleman flanche au moment le plus "romantique", ce qui ne n’empêche pas la heureuse élue de faire tout ce qu'il faut pour obtenir l'héritage. Le Portugais Joaquim de Almeida est très convaincant dans le rôle du chirurgien esthétique Dr Lima, dont la femme souffre d'Alzheimer ­– ce qui, probablement, est le meilleur moyen à sa disposition pour se débarrasser des mondaines vieillissantes qui persécutent son mari. L'artiste uruguayen Luca Barbareschi est incomparable dans le rôle de l'ancienne star du porno Bongo. Non moins impressionnant, l'ancien boxeur professionnel américain Mickey Rourke, devenu star du cinéma, incarne le rôle d'un escroc patenté qui refuse de reconnaître son fils conçu dans une ville tchèque, qui lui ressemble pourtant comme deux gouttes d'eau. Bien sûr, au nombre des invités, il y a aussi des Russes – des hommes riches (interprétés notamment par Alexander Petrov) et leurs campagnes de pacotille, débarquant au Gstaad Palace fort de valises pleines de dollars. À ce sujet, d’'ailleurs, certains critiques ont reproché au cinéaste qu'« il n'y a plus de Russes comme ça ». C'est ma fois vrai, mais, d’une part, l'action se déroule à la veille de l'an 2000 et, d’autre part, à présent qu'il est devenu plus difficile d'établir des relations avec les banques européennes, n'est-il pas pensable de les voir ressusciter ? L'ambassadeur russe et son épouse sont eux aussi reconnaissables ­– c'est d’ailleurs Madame qui figure sur l'affiche du film, le visage affaissé dans son assiette. En descendant dans le bunker pour réceptionner les précieuses valises, son mari lui a pourtant demandé de « garder le contrôle », mais elle n’a pas pu empêcher – cela arrive !

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 Oui, toute cette ménagerie humaine est réunie dans un luxueux hôtel pour fêter l'an 2000, le début du nouveau millénaire, alors que – souvenez-vous – beaucoup prédisaient la fin du monde ou un bug technologique universel. Tous sont riches, et chacun a ses particularités et exigences : de l'herbe fraîche dans la neige, sans laquelle le chien nain de la Marquise ne peut faire ses besoins, au pingouin vivant commandé par un milliardaire pour sa femme. Mais tout le monde n'est pas venu pour les vacances. Billy Crush profite de son séjour en Suisse pour monter une escroquerie financière avec l'aide de son banquier Caspar Tell (un autre nom de famille parlant) : se trouvant par hasard dans un milieu qui n’est pas le sien, ce dernier se révèle tout aussi corrompu que les autres… ce n'est qu'une question de prix.

 Connaissant assez bien Gstaad et son beau monde, j’ai copieusement ri en regardant le film. Jusqu'à ce que Boris Eltsine apparaisse à l'écran, annonçant qu'il quittait le pouvoir et le cédait à Vladimir Poutine. Aujourd'hui, 24 ans plus tard, Vladimir Poutine est toujours « à la télé ». Peu de choses ont changé au Gstaad Palace également, où on déroulera toujours le tapis rouge devant les riches Russes et exaucera tous leurs souhaits, même les plus absurdes – le prestige du service suisse oblige !

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 Bien sûr, ce film est une caricature cruelle et tous les personnages sont laids – sinon physiquement, du moins moralement. Mais si Umberto Eco a pris la peine d’écrire un fort volume sur l'histoire de la laideur dans l'art, pourquoi ne pas consacrer un film de deux heures à ce sujet dans la vie réelle ? D'ailleurs, de tels "personnages" existent vraiment. Vous ne me croyez pas ? Essayez de fêter le prochain réveillon du Nouvel An au Gstaad Palace.

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05.04.2024
Nicolas de Stael. Agrigente, 1953/1954. Suisse, collection particulière Photo Thomas Hennocque © 2023, ProLitteris, Zurich

En collaboration avec le Musée d'Art moderne de Paris, la Fondation de l'Hermitage à Lausanne vous invite à une rétrospective d'une figure emblématique de la scène artistique de l'après-guerre.
 
Le 16 mars 1955, Nicolas de Staël ferme la porte de son atelier d'Antibes, monte sur la terrasse et se jette dans le vide… il a quarante-et-un ans. Son dernier tableau, Le Concert, reste inachevé. Il est de couleur rouge, nerveux comme la mer où flottent des instruments de musique. Le spectateur s'y noie, s'y perd. Le tableau excite, surprend par sa taille inhabituelle, son style et ce rouge ardent et fascinant. Pourquoi cette couleur rouge ? Pourquoi, après des années d'abstraction, le retour à la figuration ? Pourquoi cet artiste au sommet de sa gloire a-t-il décidé de se suicider ?
 
Le Concert se trouve au musée Picasso d'Antibes, et toutes ces questions auxquelles nous ne trouverons guère de réponses sont posées dans l’ouvrage Ce rouge incandescent d’Aurélia Cassigneul-Ojeda ; celle-ci n’est ni historienne de l'art ni d'origine russe, mais simplement une institutrice française fascinée par l'œuvre du « petit prince » de Saint-Pétersbourg qui a échappé aux horreurs de la révolution de 1917 et a immortalisé la beauté de la Méditerranée. « C’est la nuit à Antibes et la ville est tranquille. Pas un bruit dans la rue de Revely qui surplombe l’atelier <> Assis dans son atelier, un homme n’entend rien, ne voit rien de tout cela. Il range et trie. Il écrit. Des lettres. <> Toute la journée, il s’est battu avec une toile. Elle est géante et rouge. Il est géant et gris. Ivre de désespoir. » Le livre est paru l'année dernière, à l'occasion de la rétrospective Nicolas de Staël au Musée d'Art moderne de Paris, qui a connu un grand succès. Il est désormais disponible à la boutique de la Fondation de l'Hermitage à Lausanne, où l'exposition parisienne sera montrée jusqu'au 9 juin.
 
Comme il est aisé de trouver des biographies de Nicolas de Staël, je me contenterai ici de rappeler quelques faits essentiels. Prénommé Nicolaï à sa naissance, le futur peintre naît le 5 janvier 1914 à Saint-Pétersbourg dans une famille riche de la noblesse : son père, le baron Vladimir Staël von Holstein, issu d'une ancienne famille balte, est général de l'armée russe et dernier commandant de la forteresse Pierre-et-Paul ; sa mère, Lioudmila Berednikova, a grandi dans une célèbre famille d'éditeurs de Saint-Pétersbourg et est une parente du compositeur Alexandre Glazounov. Après la révolution bolchevique, le baron von Holstein est contraint de se cacher avec femme et enfants dans la maison de Glazounov pendant quinze mois, et ce n'est qu'en 1919 qu'ils réussissent à émigrer en Pologne.
 
Le calme relatif ne dure pas longtemps : en 1921, le chef de famille meurt ; un an plus tard, c’est au tour de sa femme de décéder, et les enfants se retrouvent orphelins. Heureusement, ils sont adoptés par les Belges Emmanuel et Charlotte Fricero, qui les élèvent comme leurs propres enfants et leur donnent une bonne éducation. Il est à relever que les parents adoptifs ont conservé le nom de famille et le titre baronnial des enfants et qu'ils ont veillé à ce que ceux-ci n'oublient pas leurs racines : un professeur de russe leur enseigne la langue, on leur lit à haute voix des œuvres de la littérature russe, et lorsque Nicolas montre des dispositions pour la peinture, les parents adoptifs créent les conditions nécessaires pour qu'il puisse développer son talent.

La première exposition de Nicolas de Staël a lieu à Bruxelles en 1936, où l'influence des abstractionnistes est perceptible et où sa propre personnalité pittoresque se fait immédiatement remarquer. Une autre exposition marquante a lieu en 1944 dans Paris occupé : Jeanne Boucher, propriétaire d'une célèbre galerie, décide d'organiser une exposition semi-illégale où les œuvres de Nicolas Staël sont exposées à côté des tableaux de Kandinsky et de Picasso. Après la libération de la France, de telles expositions deviennent régulières, et le nom de Nicolas de Staël prend place au même rang que des maîtres reconnus. Bientôt la renommée de l'artiste dépasse largement les frontières de la France. Après l'exposition de 1953 à New York, où ses 25 tableaux exposés sont tous vendus, de Staël devient millionnaire : la conclusion d'un contrat avec le célèbre marchand d'art américain Paul Rosenberg, grand-père de la vedette de télévision française Anne Sinclair, a contribué à accroître sa fortune.
 
Pourquoi donc tomber dans la dépression ? Le 16 mars 1955, dans la rue Revely à Antibes, un riverain de passage découvre le corps sans vie de l'artiste. Bien que le rapport de police évoque "un acte de désespoir", nul soupçon d’un acte impulsif : la veille de sa mort, Nicolas de Staël est allé consulter un avocat pour savoir comment ses enfants seraient pris en charge au cas où il lui arriverait quelque chose. Une rare preuve de responsabilité.
 
En quinze ans de vie artistique, Nicolas de Staël a réalisé plus d'un millier de tableaux, dont certains sont aujourd'hui estimés à plusieurs millions de dollars. L'une de ses dernières œuvres, Nu couché, a été vendue pour plus de 7 millions d'euros en 2011. Mais, comme c'est souvent le cas avec les prophètes, en particulier en Russie, ce n'est qu'en 2003 qu'une grande exposition de l'artiste a finalement eu lieu à Saint-Pétersbourg.
 
Beaucoup d'hypothèses existent sur les raisons de son suicide – qui resteront toutefois des hypothèses… L’unique chose qui semble claire est qu’un succès extérieur ne donne pas nécessairement la paix intérieure – dont l'absence est démontrée par les peintures de Nicolas de Staël. Le rouge, toujours le rouge…
 
PS Après la publication de l’annonce de l’exposition en russe, j’ai reçu ce message d’un lecteur inconnu. Je le partage avec vous comme tel, accompagné d’une vidéo.
 
«Bonjour, Mme Sikorsky, j'espère que vous allez bien. On m'a conseillé de vous contacter au sujet de ma découverte. J'ai trouvé dans mes archives familiales des instructions détaillées de Nicolas de Staël pour décrypter ses peintures.
Mon grand-père Jean Quéré était ami avec Nicolas qui lui a confié un secret selon lequel ses peintures étaient cryptées avec sa signature qu'il utilisait comme mécanisme générateur de ses peintures. Il lui a donné la « clé » pour déchiffrer son code. Une fois que vous avez vu la clé, il est impossible de ne pas la voir. J'ai joint une photo d'un de ses chefs-d'œuvre "Composition 1950" que j'ai mise en évidence pour que vous puissiez voir clairement sa signature qui regardait tout le monde en face tout le temps et personne ne le savait ! Les autres ne sont pas si évidents et nécessitent la clé qui se présente sous la forme d'un paysage marin codé dans lequel il suffit d'aligner le modèle algorithmique pour déchiffrer sa signature codée dans ses tableaux. <> Il a également utilisé la forme de sa signature comme son « nombre d'or » personnel pour ses peintures. L'algorithme qu'il utilise pour sa signature est irréfutable. Il utilise également divers symboles pour les lettres, un symbole intelligent est un pentagone qui représente la lettre « E » car « E » est la cinquième lettre de l'alphabet, et les pentagones ont cinq côtés.

Une vidéo brève que j'ai réalisée et qui révèle son code à l'aide de la clé. »

La voici. Bon visionnage.


 

27.03.2024
Photo © Nashagazeta

Le 6 avril 2024, le pianiste russe Vsevolod Zavidov, âgé de 18 ans, remplacera à Bâle Khatia Buniatishvili dans le Premier Concerto de Piotr Tchaïkovski, accompagné par l’Orchestre philharmonique de Taiwan.

« Read my lips ! » comme l’aurait dit un président américain. « Ce garçon ira loin. » Nous avons entendu Vsevolod (“Seva” pour les proches) Zavidov pour la première fois lors d'un récent concert de la classe de Nelson Goerner. Depuis le début de l'année académique en cours, c'est-à-dire à partir de septembre 2023, le musicien originaire de Moscou étudie au Conservatoire de Genève. Il ressemble physiquement à Evgeny Kissin dans ses jeunes années : même chevelure bouclée, même discours solide surprenant pour son âge, concentration absolue sur la musique, polyvalence des intérêts et profondeur de la pensée. Intriguée, j’ai eu envie d’en savoir plus et vous présente aujourd’hui le récit de notre conversation.

Vsevolod, vous êtes né à Moscou en 2005 dans une famille qui ne pratiquait pas la musique, mais dans une interview, vous avez déclaré que dès votre plus jeune âge vous faisiez tout « en musique ». Comment cela ?

Enfant, on m'a enseigné beaucoup de choses : le dessin, l'écriture… et j'ai même participé à des olympiades de mathématiques jusqu'en sixième. Je n'avais pas d'objectifs musicaux. Mais lorsque ma mère et moi allions quelque part en voiture, nous écoutions toujours les disques de Sviatoslav Richter, par exemple. En outre, nous habitions rue Granovski, l'internat de l'École centrale de musique était visible depuis notre fenêtre, et c'est dans cette école que je suis entré... Depuis lors, nous allions assez souvent au festival de Verbier et au festival d'opéra de Vérone – ce sont mes préférés.

Dans les familles de musiciens, il est courant de faire vérifier l'oreille d'un enfant dès son plus jeune âge et de le "guider" ensuite en fonction des résultats du test. Qui donc a aidé vos parents à reconnaître votre talent, et comment avez-vous été admis à l'École centrale de musique du Conservatoire d'État de Moscou Tchaïkovski, où vous avez étudié dès l'âge de quatre ans dans la classe de la professeure Tamara Koloss ?

Lors d'une rencontre fortuite entre ma mère et une inconnue dans un club de sport, il s'est avéré que l'École centrale de musique était "juste à côté" de chez nous – la fille de cette femme y étudiait. De retour à la maison, ma mère a raconté cette histoire à notre nounou géorgienne, qui a immédiatement réagi : "Comment est-ce possible ? Un garçon de bonne famille ne joue ni du violon ni du piano ! Qu'il devienne avocat plus tard, mais au moins quelque chose..." Et à l'École centrale de musique, le système est tel que l'on ne passe pas directement à l’étude d’un instrument ; on y étudie d'abord le solfège et la rythmique. Nous étions en novembre, l'année scolaire avait commencé. Mais lorsque ma mère est allée se renseigner, on lui a dit : "Si c'est un garçon, venez !" Il y avait alors une pénurie de garçons.

Vous avez donc été accepté sur la base de votre sexe, ce qui est si pertinent de nos jours ?

C'est exact. Et j'ai choisi le piano.

Vsevolod, les gens qui ne comprennent pas à quel point la profession de musicien est ingrate, à quel point elle est difficile, à quel point il est dur d’atteindre l'Olympe et combien il est facile d'en tomber risquent de vous envier. Parlons-en.

Quant à la profession et ainsi de suite... Le mot "carrière" n'est pas un bon mot, mais "réalisation de soi" est pire encore. Mes parents avaient envisagé mon éducation de manière très large – j'étais inscrit à Eton, mais cela n'avait pas de sens. Grâce à leur approche, je m'intéresse à beaucoup de choses. Je pense qu'il faut se considérer non seulement dans un paradigme professionnel, mais aussi dans le paradigme de la génération, si tant est que l'on puisse parler de notre génération de cette manière. Lorsque vous lisez les journaux intimes de Prokofiev, vous vous rendez compte que cette génération-là exigeait bien davantage de tout le monde que quelque chose de momentané, et elle a fini par s'imposer d'elle-même. Il y avait un certain code culturel, il y avait de la dignité. C'est ce que j'ai toujours cherché à obtenir.

Vous avez atteint l'Olympe très tôt : vous avez fait vos débuts dans la Grande salle du Conservatoire de Moscou à l'âge de huit ans, et à l'âge de onze ans, vous avez remporté le Concours international de piano pour débutants aux États-Unis et avec ce prix – un concert au Carnegie Hall de New York. À quoi cela ressemblait-il ?

J'ai joué mes trois premières notes dans la Grande salle du Conservatoire de Moscou encore plus tôt : il s'agissait de deux morceaux de Schumann, d’une durée de quelques minutes, dans le cadre d'un test scolaire. Environ six mois plus tard, je suis remonté sur scène. Le fait est que pour moi, à cette époque, la Grande salle du Conservatoire ne constituait pas un temple –c'est ainsi que beaucoup de gens la considéraient à l'époque soviétique. J’en suis conscient aujourd’hui, mais ne m'en rendais pas compte à l'époque ; et j'ai donc joué le concerto de Mozart avec l'orchestre de l’École en toute tranquillité.

En ce qui concerne le Carnegie Hall, le programme surpassait, je pense, ce dont j'étais capable à l'époque. Le plus dur a été d'apprendre l’Andante maestoso, le célèbre thème de Casse-Noisette transcrit par Mikhail Pletnev, en trois semaines environ. En outre, j'ai joué la Fantasia de Mozart, une pièce de Haydn, Schumann, Chostakovitch... J'étais terriblement nerveux et je ne me souviens de rien : ni de mon entrée en scène, ni de la sortie, ni des applaudissements – seulement de l'espace devant la porte de la scène avec quelques papiers collés sur le mur.

Après ces premiers succès grandioses, n'est-il pas difficile de grandir encore ? Vers quoi tendre, à quoi rêver ?

Revenons au code culturel des générations. Il y a encore beaucoup de place pour la croissance. Je me considère comme un Russe ; je vois comment les Russes vivaient au XIXe siècle – une certaine partie d'entre eux avec laquelle nous communiquons spirituellement –, et il paraît évident que cela vaut la peine de faire des efforts. Interpréter les Douze études d’exécution transcendante de Liszt n’est peut-être pas un objectif de vie en soi, mais il peut s'agir d'une étape professionnelle. La musique russe, à mon avis, exige une plus grande consolidation de la pensée, et donc plus de travail.

Vous n'avez guère eu à vous plaindre en Russie : vous avez effectué de nombreuses tournées, en 2017 vous vous êtes produit deux fois avec l'Orchestre de chambre d'État "Moscow Virtuosi" sous la direction de Vladimir Spivakov, en interprétant le Premier concerto pour piano de Chostakovitch ; vous avez été autorisé à partir à l'étranger sans aucun problème... Pourtant, vous avez décidé de partir. Pourquoi ?

Il y a plusieurs façons d'aborder cette question, la principale étant que la plupart des gens partent pour revenir. Et je suis de ceux-là : physiquement, je serais parti quel que soit le contexte historique, mais spirituellement, je ne suis pas parti. La tragédie, c'est que la Russie telle que je la conçois n'existe pas. Et je ne peux pas dire que je la connais bien – je connais trois ruelles du centre de Moscou. Je peux voir tous les habitants de “ma” Russie à l'extérieur, là où la plupart d'entre eux se trouvent aujourd'hui.

J'étais à Moscou la veille du Nouvel-An et je pense que j'ai visité tous les bons endroits. Pourtant, j'ai eu l'impression d'une fête au milieu de la peste et de l'absence de quelque chose qui était là auparavant. Certains étrangers, une fois arrivés, ne se rendent peut-être pas compte de ce qui se passe là-bas. Pour toucher “mon” Moscou, il faut entrer dans trois ou quatre appartements, les regarder, s'en imprégner... Mais je n'ai absolument rien à y faire maintenant, et il n'y a aucune raison d’y donner des concerts. Ce n'est pas le moment.

Pourquoi avez-vous décidé de vous installer à Genève ? Est-ce lié à l'obtention du Prix spécial Georges Lebanson au 76e Concours international de Genève en 2022 ?

Ce n'est absolument pas lié au concours. Je ne connaissais pas très bien la Suisse, à l’exception du festival de Verbier. Mon père venait ici pour son travail. Mais lorsqu'on choisit un lieu d'études, on ne s'adresse pas à un pays ou à une organisation, mais à un professeur en particulier. Il se trouve qu'une vieille amie de notre famille, la professeure Dina Parakhina du Royal College of Music, m'a donné deux conseils qui ont changé ma vie : elle nous a d'abord donné le numéro de téléphone de Tatiana Abramovna Zelikman, mon professeur à Moscou, et, il y a un peu plus d'un an, celui de Nelson Goerner. Après mon premier cours avec lui, j'ai su que je viendrais m’installer ici.

En effet, vous avez étudié avec Tatiana Zelikman à l’École Gnessine pendant cinq ans, puis avec Nelson Goerner depuis plus de six mois. Pouvez-vous comparer les écoles, les approches, les styles de communication ?

J'étudie toujours avec Tatiana Abramovna, et nous ne nous sommes jamais séparés. À Moscou, j'ai étudié à l'École centrale de musique et à l’École Gnessine. Ce n'est pas seulement la rue Vozdvijenka qui les sépare, mais quelque chose de bien plus grand : elles ont des approches très différentes. Pour moi, Tatiana Abramovna Zelikman est bien plus qu'un professeur. Elle et son mari, le professeur Vladimir Manulirovich Tropp, sont les représentants d'une génération, d'une intelligentsia supérieure, de sorte que je pourrais ne pas apprendre uniquement la musique avec eux. Lorsque je suis à Moscou, je vais immédiatement jouer pour elle ; et j'essaie de la rencontrer lorsqu'elle est en Europe – elle voyage malgré son âge avancé –, et nous nous rencontrerons bientôt en Italie, où elle donnera des master class. Je ne connais aucune autre personne dotée d'une telle énergie.

Nelson Goerner est un homme d'une autre génération, il a une école très différente, une approche beaucoup moins historicisée. Les idéaux de Tatiana Abramovna ont été laissés quelque part derrière elle, bien qu'elle vive absolument dans le présent : elle mesure tout le monde à l’échelle de Horowitz, Cortot, Schnabel, Rachmaninov... En même temps, étrangement, je trouve très peu de dissonances entre ce qu'elle m’a dit – et continue de me dire – et ce que me dit Nelson Goerner. J'aime beaucoup étudier avec lui, je suis plus proche de lui en âge, mais Tatiana Abramovna fait partie de ce code culturel moscovite dont je ne peux pas m'éloigner, il est en moi pour toujours. Il est tout à fait naturel pour moi de vivre dans ces deux paradigmes.

Au cours de l'été 2022, vous avez participé au festival Stars of the White Nights et, au théâtre Mariinski, à une série de concerts dédiés au 140e anniversaire de la naissance d'Igor Stravinsky. En décembre de la même année, vous avez participé au festival Mariinski. Tout cela sur invitation de Valery Guergiev, qui est devenu persona non grata en Occident après le déclenchement de la guerre en Ukraine. Vous rendez-vous compte qu'il peut y avoir des questions à ce sujet ?

Oui, je m'en rends compte. Il me semble qu'il y a des individus – la liste est très courte – qui, malgré les apparences, sont au-dessus de tout contexte. Une partie importante de la ville de Saint-Pétersbourg vit spirituellement grâce au théâtre Mariinsky, qui ne pourrait pas exister sans Valery Guergiev. Il me semble que tout le monde en Russie n'a pas besoin d'être absolument vilipendé – même s'ils sont très peu nombreux. Je pense que maestro Guergiev est l'un d'eux, car il porte beaucoup sur ses épaules. Très peu de gens sont capables de faire cela. Il a choisi la voie du compromis, de l'abandon d'une partie de son renom autrefois glorieux au profit du processus musical. Je pense que ce processus et ce qu'il vit sont très éloignés de ce qui l'entoure réellement.

Le 16 février 2024, jour de la mort d'Alexei Navalny, nous nous sommes rencontrés lors d'un rassemblement sur la place des Nations à Genève. Qu'est-ce qui vous a poussé à venir sur cette place ?

Alexeï et Ioulia Navalny sont pour moi de grands rêveurs. Et je suis moi-même un rêveur. De plus, pour moi, ils sont les symboles d'une Russie inébranlable. Pour cela, je les respecte beaucoup. J'ai vécu dans le contexte de la radio libérale Ekho Moskvy depuis ma plus tendre enfance, j'ai appris l'existence de Navalny après les manifestations sur la place Bolotnaya et je suis passé par plusieurs étapes dans ma propre attitude à l'égard d'Alexeï, ce qui n'a en rien affecté le profond respect que j'éprouve pour lui, pour sa capacité à rêver et à faire partager son rêve à un grand nombre de personnes.

Qu'est-ce que la musique pour vous en général ?

La musique peut être très diverse : contextuelle, non contextuelle et supra-contextuelle. Son pouvoir absolu réside dans sa capacité à communiquer sans aucune traduction. Alors que certaines peintures peuvent être difficiles à comprendre sans explication, cela ne vaut pas pour la musique. La musique peut vivre de l'immense talent de l'interprète, cela arrive. Dans la musique, comme dans la vie, il y a deux paradigmes : dois-je être acteur ou metteur en scène, et qu'est-ce qui est le plus important pour moi – la vérité/la liberté ou la beauté/l'esthétique ?

Si dans la vie, on peut parfois se permettre de fuir la vérité au profit de l'esthétique et de la beauté, dans la musique, il faut plus souvent choisir la vérité et être un metteur en scène.

Il me semble qu'en littérature, Pouchkine et Shakespeare sont supra-contextuels, et qu'en musique, il y a des phénomènes similaires. La plus grande difficulté de notre profession est d'équilibrer la vérité et la beauté. Le pianiste Rachmaninov en était capable ; les finesses de son style et son émotivité sont ahurissantes, tout en restant dans des limites bien définies. On trouve parfois du sarcasme dans la musique, et il est très important chez Rachmaninov, Stravinsky et Chostakovitch. Le sarcasme est un bon moyen de concilier l'esthétique et la vérité.

Le 6 avril, vous jouerez à Bâle le Premier concerto de Tchaïkovski, une œuvre qui n'est pas seulement belle, mais qui est aussi, pour la culture russe, un point de repère. Qu'en pensez-vous ?

Cette musique est phénoménale et exige une grande force morale. Tchaïkovski possédait certainement cette force, même si, dans la première version, il considérait ce Concerto comme une œuvre plus chambriste. Cette grande force se ressent dans sa musique, ainsi que la grande épaule de la Russie, quelle qu'elle soit, sur laquelle il pouvait s'appuyer.  À mon avis, il est faux de dire qu'il y a un impérialisme dans cette musique. On y trouve plutôt une puissance, une fierté, une fébrilité qui n'existent peut-être plus aujourd'hui. Cette musique a été utilisée de tant de manières différentes – quelqu'un a même fait de la gymnastique sur cette musique dans les années 1960 ! Van Cliburn l'a jouée à Moscou en 1958 et, selon les témoignages, ce concert est devenu quelque chose de plus que ce qu'il était réellement : il est devenu un symbole. Il m'est difficile d’en juger : en écoutant un enregistrement de Cliburn, je n’y perçois rien de tel, mais les gens qui l'ont entendu en concert disent que ce fut un événement marquant de leur vie. Et le concert d'Horowitz à Moscou en 1986 a probablement été le meilleur concert de l'histoire de l'humanité tout court ! Je comprends toutes les émotions, mais pour que les gens puissent écouter cette musique d’une telle manière, il aurait fallu les torturer pendant les cinquante années précédentes. Peut-être que dans quelque temps cela pourrait se reproduire, mais aujourd'hui, c'est impossible.

18.03.2024

Vous le savez tous, bien sûr : l'élection présidentielle s'est achevée hier. Elle a duré trois jours en Russie, mais en dehors de la Russie, elle n'a duré qu'une journée - le dimanche 17 mars, de 8 heures à 20 heures. De plus, les électeurs d'outre-mer ont été privés de la possibilité de voter par voie électronique, ce dont le président Poutine lui-même a profité.

Nasha Gazeta a informé à l'avance ces lecteurs de l'existence de deux bureaux de vote en Suisse : Le bureau de vote n° 8334, traditionnellement situé à l'ambassade de Russie à Berne et "couvrant" les cantons d'Appenzell-extérieur, Appenzell-intérieur, Argovie, Bâle-ville, Bâle-rural, Berne, Glaris, Grisons, Soleure, Lucerne, Nidwald, Obwald, Saint-Gall, Tessin, Thurgovie, Uri, Zoug, Zurich, Schaffhouse, Schwyz, Jura et la Principauté du Liechtenstein, et le bureau de vote n° 8335 pour les cantons du Valais, de Vaud, de Genève, de Neuchâtel et de Fribourg, situé à la Mission permanente de la Fédération de Russie auprès de l'Office des Nations Unies et des autres organisations internationales à Genève.

La veille, le 16 mars, le journal Le Temps a publié un article assez détaillé sur cet événement important pour la Russie, et pas seulement pour elle, qui s’est déroulé aussi en Suisse. Notre collègue Frederick Koller a partagé les données de l'attaché de presse de l'ambassade de Russie à Berne, Vladimir Khokhlov, qui a indiqué que "3 215 personnes sont inscrites au registre consulaire", tandis que "selon les statistiques suisses, 16 200 citoyens russes vivent dans la Confédération".

A mon avis, ces deux chiffres sont sous-estimés : contrairement à l'époque soviétique, il n'est pas obligatoire de s'enregistrer auprès des autorités consulaires, donc peu de gens le font, et les statistiques suisses ne prennent pas en compte comme Russes les détenteurs de la double nationalité, dont moi-même et beaucoup d’autres. (À propos, je n'ai pas pu participer au vote, car mon passeport utilisé pour l’étranger est en cours de renouvellement et, pour une raison quelconque, le passeport interne d'un citoyen russe n'est pas accepté comme document).

Les deux membres de la rédaction de Nasha Gazeta ont suivi ce qui se passait devant les deux bureaux de vote. Zarrina Salimova à Berne et moi-même à Genève y sommes arrivées peu avant midi - nous étions intéressées par les réactions à l'appel des organisateurs de la campagne mondiale "Midi contre Poutine" pour une participation massive à midi le dernier jour de l'élection présidentielle afin de "montrer l'unité de lieu et de temps de la protestation".

Ce que nous avons vu a dépassé nos attentes : devant l'ambassade et la mission, des files d'attente s'étiraient sur des centaines de mètres, avec une forte proportion de jeunes. L'ambiance était joyeuse, beaucoup de personnes ont admis qu'elles craignaient qu'il n'y ait personne et qu'elles étaient très heureux de voir le contraire.

En effet, pourquoi perdre du temps par une journée de printemps ensoleillée, si le résultat de l'élection est connu à l'avance, et depuis longtemps, et que trois candidats sur quatre ne sont là que pour faire bonne figure ? C'est ce qu'ont pensé de nombreuses personnes, qui ont préféré de fêter le dernier jour du Mardi gras ou attraper les dernières neiges sur les pentes des montagnes. Pour ceux qui sont venus et avec qui nous avons pu parler, il était important qu'ils accomplissent leur devoir civique et qu'ils fassent connaître leur position. Et le je comprends et les salue.

Un détail intéressant : une rumeur a circulé selon laquelle les bulletins vides seraient assimilés à des bulletins gâchés et simplement jetés. Cela explique peut-être le nombre de voix obtenues par Vladimir Davankov, le candidat le moins connu du public et perçu comme le moins proche du Kremlin.

Les deux bureaux de vote étaient desservies, devant l’entrée, des volontaires de l'organisation "Vote Abroad", qui procédaient à des sondages à la sortie – exit polls. L'initiative "Vote Abroad" est apparue en 2021, ses activistes se présentant comme suit : "Nous sommes des personnes libres et des activistes indépendants de Russie vivant en Europe, au Royaume-Uni, aux États-Unis, au Canada, en Australie, en Nouvelle-Zélande et dans d'autres parties du monde", et l'objectif du projet comme suit : "La participation active aux élections est le fondement de la démocratie en Russie, c'est pourquoi nous avons lancé ce projet. Nous pensons que la passivité politique détruit la société civile, notre objectif est donc de populariser la participation à la vie politique du pays par le biais de mécanismes démocratiques tels que les élections".

Selon les volontaires, tout le monde n'a pas accepté de répondre aux quatre questions qu'ils ont compilées, et parmi ceux qui l'ont fait, ceux qui ont voté en faveur de Davankov l'ont emporté. Sur la base des informations ainsi recueillies à la mi-journée, on peut conclure que les partisans de Vladimir Poutine se sont rendus dans les bureaux de vote le matin et que les partisans du changement de pouvoir sont arrivés à la mi-journée. L'après-midi, la tendance s'est à nouveau inversée.

De retour chez moi, j'ai posté certaines des photos que j'avais prises sur ma page Facebook personnelle avec les mots "Switzerland votes... les Russes de Suisse votent...". J'ai immédiatement reçu une remarque d'une dame de Genève : "La Suisse vote contre - vous avez oublié les deux mots "contre" et "poutine". Cette remarque a été suivie d'un reproche selon lequel j'avais ainsi complètement annulé "le sens de la marche des Russes suisses aujourd'hui et à midi. Et ils sont venus précisément en signe de protestation, pas pour "voter"".

Malheureusement, contrairement au commun des mortels, un journaliste qui tient à sa réputation ne peut se permettre d'écrire un nom de famille - n'importe quel nom de famille - avec une minuscule, ni de faire passer un vœu pieux pour une réalité. N'ayant pas le don de voyance ou l'accès aux urnes, nous ne pouvons pas faire des déclarations ou des chiffres qui ne reposent sur aucun fait. Mais les réactions aux photos de personnes en Russie sont également intéressantes : elles vont de "bravo !" à "y a-t-il encore autant de Russes en Suisse ?!".

Entre-temps, juste après 19 heures, heure européenne, c'est-à-dire alors que les bureaux de vote en Suisse étaient déjà ouverts, le radiodiffuseur RTS a rapporté, en citant la CEC, que Vladimir Poutine avait remporté 87,97 % des voix à l'élection présidentielle russe après avoir traité 24,4 % des protocoles. Kharitonov et Davankov n'ont même pas obtenu 4 %, tandis que Slutsky n'a même pas obtenu 3 %. Dans la matinée, les chiffres ont été légèrement corrigés.

On sait qu'en 2018, 67 % des Russes de Suisse ont voté pour Vladimir Poutine. Selon TASS, citant le service de presse de de la Mission russe à Genève, hier, un total de 1 690 personnes ont voté directement au bureau de vote, tandis que 5 autres personnes ont voté en dehors des locaux de vote. (Il n'a pas été expliqué comment il était possible de voter en dehors des locaux.) À 23h30 hier, aucune donnée sur le vote d'hier en Suisse n'était disponible sur le site Internet de Vote Abroad, et aucune n'était apparue ce matin. Cependant, à 23h47 hier, la rédaction a reçu des informations directement de la part des volontaires des sondages à la sortie des bureaux de vote. Ces informations diffèrent considérablement des données officielles. Les voici. Nombre de sondés : 1157 personnes. Parmi les personnes interrogées qui ont accepté de répondre à la question principale, 20 % ont voté pour Poutine, 29 % pour Davankov, 1 % pour Slutsky et 1 % pour Kharitonov. 30 % des personnes interrogées ont refusé de répondre à la question sur leur choix. A Berne, sur 582 personnes interrogées, 16% on votées pour Poutine et 45% pour Davankov.  

Dans un avenir proche, il est peu probable que nous apprenions le résultat réel de ce vote formellement prédéterminé. Cependant, le fait est clair : Vladimir Poutine restera président de la Russie pendant encore six ans, et c'est avec lui que tous les dirigeants occidentaux successifs devront traiter d'une manière ou d'une autre. Et il ne faudra pas attendre longtemps avant 2036, lorsque, à l'occasion du centenaire de la constitution de Staline, une autre décision historique pourra être prise.

Il est intéressant de noter que lors de la première conférence tenue immédiatement après les résultats des élections, le président Poutine a prononcé le nom de Navalny pour la première fois.

14.03.2024

Les Éditions Noir sur Blanc ont préparé un nouveau cadeau pour tous les amateurs de bonne littérature – cadeau que l'on peut trouver à partir d'aujourd'hui dans les librairies de Suisse et de France.

« Oh, que de découvertes merveilleuses ... » Certains d'entre nous se souviennent de ce vers de Pouchkine adressés aux figures de la science. Mais aujourd'hui, à mon tour, je les adresse à la maison d'édition lausannoise qui me permet de temps à autre à faire les découvertes dans ma propre littérature nationale.

La découverte de ce jour s'appelle Mikhaïl Ossorguine. La faible popularité – voire l’absence quasi totale de célébrité dont jouit l’auteur aux yeux du lecteur russe –, peut en partie s'expliquer sitôt que l’on prête attention à la chronologie de la publication de ses ouvrages : avant 1918, ils le sont à Moscou ; en 1921 à Riga, puis à Paris, Tallinn (jusqu'en 1938), Sofia, New York... Même ses Mémoires d'un exilé (1985) l’ont été à l'étranger – au sein du №84 du magazine Le temps et nous, édité de 1975 à 200. D'abord de façon mensuelle à Tel Aviv, puis, depuis 1981, tous les deux mois à New York. Il est d’ailleurs intéressant de noter que c'est dans ce magazine, dont le seul collaborateur était Viktor Perelman, qu'ont été publiés pour la première fois le roman Flea Market d'Alexander Galich, le Poème de l'existence de Naum Korzhavin, le Cas personnel de communiste de Yufa de Viktor Nekrasov, Solo on the Underwood et Le livre invisible de Sergei Dovlatov.

Le vide a été comblé depuis 1989, année au cours de laquelle les livres d'Ossorguine ont été – l’un après l’autre – publiés en Russie, puis, en 1999, sous la forme d'œuvres en deux volumes.

La biographie de l’auteur, assez détaillée, peut être trouvée dans diverses sources facilement accessibles, aussi ne m'attarderai-je que sur quelques-uns de ses points forts. Mikhaïl Andreïevitch Ilyin, qui prendra plus tard le nom de sa grand-mère, naît en 1878 à Perm, dans une famille de nobles (certains experts affirment que l'histoire des siens remonte à la dynastie des Riourikides). Dès ses années de gymnase il commence à publier dans diverses revues, puis poursuit cette activité alors qu'il est étudiant à la faculté de droit de l'université de Moscou, où il participe à l'agitation étudiante et s'intéresse professionnellement à la situation des couches pauvres de la population.

Mikhaïl Ossorguine (1878-1942)

Comme beaucoup de personnes éclairées de sa génération, Ossorguine critiquait l'autocratie, ce qui le conduisit d'abord à épouser la fille du révolutionnaire Malikov, puis, un an plus tard, à rejoindre le Parti socialiste révolutionnaire et à participer à la préparation de la révolution de 1905… quand bien même sa participation resta indirecte : dans son appartement moscovite et dans sa datcha, il organisait des réunions, tenait des sessions du comité du Parti socialiste révolutionnaire, éditait et imprimait des proclamations et discutait des documents du parti. Après s'être abstenu de participer directement à la révolution, il change de position lors du soulèvement armé de décembre 1905. Déclaré dangereux "barricadeur", emprisonné pendant six mois à la prison de Taganskaïa, il est libéré sous caution. Aussitôt, il prend la direction de la Finlande, puis – via le Danemark – de l'Allemagne, de la Suisse, et pour finir de l'Italie, où il s'installe près de Gênes, à Villa Maria, où une commune d'émigrés est créée.

Le premier exil forcé a duré dix ans. Pendant cette période, il écrit un livre d'essais sur l'Italie, se passionne pour le futurisme, se convertit en judaïsme (non pour des raisons religieuses ou idéologiques, mais pour épouser l'avocate Rachel Ginzberg), quitte le parti et entre chez les francs-maçons, convaincu de la primauté des principes éthiques sur les intérêts du parti.

Avec l'éclatement de la Première Guerre mondiale, le mal du pays devient insupportable ; aussi, en juillet 1916, Mikhaïl Ossorguine rentre illégalement au pays. Ayant avalisé la révolution de février 1917, il rejoint la Commission pour le développement des archives et des affaires politiques à Moscou, y travaille aux Archives du service de sécurité, et commence à publier de nombreux ouvrages. Mais cela ne dure guère : passé octobre 1917, Ossorguine s'oppose à la politique des bolcheviks. Il n'est pas arrêté immédiatement, mais seulement en 1919. Pendant cette période de liberté relative, Ossorguine et quelques-uns de ses amis – dont le philosophe Nikolaï Berdiaev – ouvrent la célèbre "Librairie des écrivains" de Moscou, qui existera jusqu'en 1922.

En août 1921, Mikhaïl Ossorguine est de nouveau arrêté, puis relâché – cette fois grâce à l’explorateur norvégien Fridtjof Nansen qui, à l’époque, aidait activement à lutter contre la famine en Russie. Libéré, Ossorguine n’en est pas moins relégué à Kazan. Durant l'automne 1922, avec quelques centaines d’intellectuels russes de grande valeur, il est confié au soin du célèbre « paquebot des philosophes ». Ceci pour un exil sans retour.

Dans son livre Comment nous avons été déportés, Mikhaïl Ossorguine cite le commentaire de Trotski sur les raisons de cette expulsion : « Nous avons expulsé ces gens parce qu'il n'y avait aucune raison de les abattre et qu'il était impossible de les tolérer ». C’est là dire qu’ils ont eu beaucoup de chance de s’en être tirés. Quelques années de plus et on aurait trouvé une bonne raison – à compter même qu’on l’ait recherchée ! – de les exécuter.

Après avoir passé un an à Berlin, Ossorguine s'installe à Paris, où il conclut en 1926 un troisième mariage : avec l'historienne Tatiana Bakounina… laquelle n'a rien à voir avec le célèbre anarchiste. Jusqu'en 1937, il conserve la nationalité soviétique, puis vit sans aucun passeport – pas même un passeport Nansen. La vie suit son cours jusqu'en juin 1940. Après l'occupation de Paris par les nazis, Ossorguine et sa femme fuient la capitale française et s'installent à Chabry, sur ce qui était encore la rive française du Cher. C'est là qu'Ossorguine écrit Dans un endroit tranquille de France et Lettres sur des choses insignifiantes. C'est là aussi qu'il va mourir, en 1942.

Condamnant la guerre, l'écrivain réfléchit à la mort de la culture, met en garde contre le danger d'un retour de l'humanité au Moyen Âge, s'afflige des dommages irréparables qui peuvent être causés aux valeurs spirituelles. En même temps, il se prononce fermement en faveur du droit des hommes à la liberté individuelle. Dans ses Lettres sur des choses insignifiantes, l'écrivain prévoit une nouvelle catastrophe : « Quand cette guerre sera finie, le monde entier se préparera à une nouvelle guerre ».

Combien ces mots résonnent, vous en conviendrez, à la manière d’un puissant tambour !

Une si longue introduction m’a semblé importante, de sorte que, lisant Une rue à Moscou, vous puissiez appréciez ce qu’Ossorguine y loge de son autobiographie et de sa sensibilité. Ses contemporains ont retenu de lui un être qui, dans les relations avec ses semblables, mettait avant toute autre chose, non la coïncidence des croyances idéologiques, mais la proximité humaine fondée sur la noblesse, l'indépendance et le désintéressement – sans oublier de mentionner son âme douce et délicate, sa nature artistique et l'élégance de son apparence.

Le roman-chronique Une rue de Moscou – l'œuvre la plus célèbre de Mikhaïl Ossorguine – devait bien plus tard être inclus dans l'édition russe en deux volumes de 1999 déjà mentionnée. En premier lieu, toutefois, il fut rédigé à Paris en 1928, puis publié l'année suivante. Entre ces deux dates s’en trouve une autre : 1973… année durant laquelle ce livre est publié pour la première fois en français à L’Âge d’Homme, la maison d'édition suisse fondée par Vladimir Dimitrievitch – ce dans une traduction signée Leo Luck. Aujourd'hui, cette édition, relue et corrigée par M. Lack lui-même, voit le jour dans la série "La bibliothèque de Dimitri" des Éditions Noir sur Blanc.

En français, le roman s'appelle donc Une rue de Moscou – ce qui n'est pas une mauvaise chose dans la mesure où, aux yeux des étrangers comme de nombreux Russes (même Moscovites !), le nom Sivtsev Vrajek – qui est le titre original du livre – peut ne rien dire. Il convient donc d'expliquer qu'il s'agit là d'une ruelle située dans le centre de Moscou, entre le boulevard de Gogol et la rue de l’Argent. Le nom, qui remonte au XVIIe siècle, provient d'un ravin (« ovrag »/ « vrajek » en russe) au fond duquel coulait une petite rivière, la Sivets (ou Sivka), connue depuis le XIVe siècle. Sivtsev Vrajek a changé plusieurs fois de nom, mais ce dernier reste tel quel depuis des années 1910.

Malgré l'aspect féerique de ce nom pour l'œil et l'oreille russes – le cheval Sivka, étant présent dans de nombreux contes de fée –, le roman de Mikhaïl Ossorguine n'a rien de tel. Il rapporte des événements historiques. Pour l'auteur, Sivtsev Vrajek est un symbole de cette Moscou intellectuelle presque disparue, où il a passé sa jeunesse et qu'il considérait probablement comme sa patrie. On peut dire que le symbole est bien choisi si l'on se souvient que, dans différentes maisons de cette ruelle – dont certaines ont disparu et d'autres sont devenues des monuments architecturaux –, Marina Tsvetaïeva et Maximilian Volochine, Mikhaïl Cholokhov et Irakli Andronikov, Maria Ermolova et Leon Tolstoï, Alexander Herzen et Yevgeny Pasternak et d’autres figures de la culture russe y ont vécu ou s’y sont arrêtés en différentes années.

Les chercheurs qui se sont penchés sur l'œuvre de Mikhaïl Ossorguine notent que l’auteur a suivi les traditions de Goncharov, Tourgueniev et Tolstoï. Sans entrer dans une polémique, j’ajouterais à la liste Pouchkine : les traits de son héroïne préférée, Tatiana Larine, se retrouvent bel et bien dans la Tanyusha d'Ossorguine. Mais ce qui m’a le plus frappé dans ce roman, c'est la présence presque physiquement tangible, palpable, de deux autres Mikhaïl – Prichvine et Boulgakov. Et ce, dès les premières lignes. Jugez-en par vous-même.

« Dans l’immensité de l'univers, dans le système solaire, sur la Terre, en Russie, à Moscou, dans la maison d’angle de Sivtsev Vrajek, dans son cabinet de travail, dans son fauteuil, était assis le savant ornithologue Ivan Alexandrovitch. Emprisonnée par l’abat-jour, la lumière tombait sur un livre et éclairait le bord d'un encrier, le calendrier et une pile de papiers. Mais le savant ne voyait que cette partie de la page où une image coloriée représentait la tête du coucou.

Elles n’étaient pas savantes, les pensées qui lui traversaient l’esprit ; c’étaient de simples pensées sur le nombre d'années qu'il avait encore devant lui. Elles le transportaient dans les profondeurs forêt où le coucou lançait son appel. Autant d’appels, autant d’années à vivre encore : cette croyance populaire n'est pas plus absurde que les autres façons de prédire l’avenir. Tout comme les médecins, le coucou se trompe. Aucun médecin ne peut prévoir le jour où un homme se fera écrasé par un tramway… ».

Notons qu'à l'époque de la création de ce roman, Mikhaïl Prichvine avait déjà écrit beaucoup de choses sur différents oiseaux, et que Mikhaïl Boulgakov, en décembre 1928, venait de commencer à travailler sur Le Maître et Marguerite, roman qui devait rendre célébrissime certain tramway moscovite censé avoir coupé la tête de l'infortuné Berlioz – l’homonyme russe du compositeur français. Cependant, Cœur de chien et La Garde blanche avaient déjà été publiés, en 1925, et il est difficile de ne pas remarquer les fils invisibles et infaillibles liant ces livres à Sivtsev Vrajek ; non bien sûr qu’il s’agisse d’un simple plagiat, mais plutôt de l'étonnante unanimité de pensée de personnes aux destins intimes bien différents, mais lestés par une douleur commune pour le sort du pays où ils sont nés.

De tels fils, notons-le, se tirent dans l’autre sens également : un de personnages d’Ossorguine s’appelle Mertvago. Boris Pasternak l’avait-il lu ?

Je ne vais pas vous conter le contenu du roman – espérant plutôt que vous vous offrirez le plaisir de le lire. J’aimerai juste – très brièvement, en pointillés et en quelques citations –, retracer l'évolution de la ligne centrale du sujet : la Première Guerre mondiale.

Dès les premières pages du roman, Ossorguine dénonce l'absurdité de sa « cause » : « Quand le petit Serbe eut appris à bien tirer, il décida de devenir un héros national. Pour cela, il était nécessaire de tuer l'ennemi national, nulle autre façon de devenir un héros. Et comme nombre de petits Serbes apprenaient à tirer à la cible cible sur les murs des poulaillers, il fallait bien que le destin envoyât à l'un d'eux une cible nouvelle : la poitrine de l'archiduc d’Autriche. Bien entendu, cela eût pu ne pas arriver ».

Cela eût pu ne pas advenir, chers lecteurs, si la vanité et une fausse conception du bien de la nation n'avaient pas frappé la tête du jeune homme. Mais c'est bel et bien arrivé, aussi la maison confortable de Sivtsev Vrajek n'a pas pu protéger la famille du professeur d'ornithologie d’une guerre qui a ruiné le toujours calculateur Erberg, a transformé le brillant officier Stolnikov en une souche, a donné des cauchemars au déserteur Andryusha et a privé de son inspiration le vieux pianiste Edouard Lvovich, auteur d’un tout dernier opus...

« Quel fut le nom de la première mère privée de son enfant ? Lui a-t-on élevé un monument avec une fontaine, une fontaine de larmes ? Dans quel album figure le timbre de la première lettre envoyée du front ? Le premier gémissement d'un blessé a-t-il été enregistré pour le gramophone ? La première malédiction lancée ouvertement fut-elle étranglée par une corde ou broyée par une pierre ? Désormais et pour de longues années, nul esprit scrutateur, nulle plume descriptive ne labourera ni ne cultivera un champ le rouge coquelicot de la guerre », écrivait Mikhaïl Ossorguine il y a cent ans à propos de la Première Guerre mondiale. Peut-être était-ce une erreur de les numéroter, l’une après l’autre, comme pour appeler la suivante ?

« Les villageois se méfiaient des citadins et ne les laissaient pas de bon gré entrer dans les isbas. Mais une fois ceux-ci admis, ils leur posaient toutes sortes de questions à propos de Moscou, des Allemands, des prix et de ce à quoi il fallait s’attendre. Ils savaient que la guerre était finie, mais ils n'avaient que les notions les plus vagues et les plus fantastiques quant à celui qui dirigeait maintenant la Russie ; ils demandaient s’il était vrai que le tsar avait été exilé et ce qu’en réalité voulaient les bolcheviks ».

Que s'est-il passé après la Première Guerre mondiale et une paix qui n'a satisfait personne ? La révolution bolchevique a eu lieu, suivi par la terreur, de nouvelles destructions, de nouvelles victimes innombrables… La terreur qui a transformé l'homme ordinaire qu'était Zavalichine en un tueur professionnel, à ce point imbibé du sang des autres que son propre sang a cessé de cailler. « Soyez une crapule et cessez de pleurnicher » - n’est-il pas le slogan de tous les Charikovs et autres Rhinocéros ?

Chaque guerre ramène l'humanité au Moyen Âge. Mais si nous savons déjà que l'Histoire a prévu une Renaissance, pourquoi ne pas essayer de sauter cette étape honteuse, comme s'il s'agissait d'un ravin (« ovrag »/ «vrajek »), afin de ne pas être tourmenté par les questions du genre « qui est à blâmer ? » et « que faire ? » pour le reste de l'éternité ?

A PROPOS DE CE BLOG

Nadia Sikorsky a grandi à Moscou, où elle a obtenu un master de journalisme et un doctorat en histoire à l’Université d’Ètat de Moscou. Après 13 ans au sein de l’Unesco à Paris puis à Genève, et exercé les fonctions de directrice de la communication à la Croix-Verte internationale, fondée par Mikhaïl Gorbatchev, elle développe NashaGazeta.ch, quotidien russophone en ligne.

En 2022, elle s’est trouvée parmi celles et ceux qui, selon la rédaction du Temps, ont « sensiblement contribué au succès de la Suisse romande », parmi les faiseurs d’opinion et leaders économiques, politiques, scientifiques et culturels – le Forum des 100.

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