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La littérature mondiale à travers les visages de ses auteurs

24.12.2025.

A la Fondation Jan Michalski à Montricher (DR)

Il y a deux ans et demi, j’ai déjà présenté à mes lecteurs russophones Luc Debraine, alors directeur du Musée suisse de l’appareil photographique à Vevey, journaliste, photographe, commissaire d’exposition et enseignant à l’Université de Neuchâtel. À cette occasion, j’ai raconté qu’il consacrait une grande partie de son temps libre au travail sur les archives de son père, Yves Debraine (1925–2011), photographe suisse d’origine française, qui fut pendant vingt ans le photographe personnel de Charlie Chaplin et immortalisa de nombreuses figures marquantes de son époque. De toute évidence, ce travail d’archives avance avec succès : après un premier ouvrage, Les Gardes-temps, un second vient de paraître, De Cocteau à Simenon. Portraits d’écrivains.

Le titre dit tout. Il s’agit véritablement de portraits d’écrivains, de Cocteau à Simenon. Des auteurs qui écrivaient dans différentes langues, étaient parfois porteurs de visions opposées, mais restent réunis pour toujours par la Suisse, par l’objectif d’Yves Debraine et, aujourd’hui, par ce livre de son fils, publié à l’occasion du centenaire de la naissance du photographe.

On ne saurait mieux présenter cet ouvrage que Luc Debraine lui-même. En six pages de préface, il parvient à évoquer des détails fascinants des rencontres de son père avec les écrivains photographiés, à replacer nombre d’entre elles dans un contexte historique essentiel, et à exprimer à la fois son affection pour son père et son admiration pour ce professionnel qui, à la fin de sa vie, gardait sur sa table de chevet les Pensées pour moi-même de Marc Aurèle.

Quel privilège de « participer » soudainement à une rencontre entre deux grands auteurs de romans policiers, Georges Simenon et Ian Fleming, qui eut lieu à l’été 1963 à Échandens, dans le canton de Vaud ; ou de découvrir comment le jeune Yves Debraine s’était retrouvé en possession du duffle-coat de Jean Cocteau ; ou encore d’apprendre le projet du cinéaste français Marcel Pagnol d’adapter La Beauté sur la terre de Charles-Ferdinand Ramuz, projet finalement avorté ; ou enfin l’impression que produisait sur Yves Debraine le regard de Vladimir Nabokov, « si pétri d’intelligence ».

Vladimir Boukovsky, 21 décembre 1976, Zurich © Archives Yves Debraine

Il faut rendre hommage à la lucidité et à l’humour de Luc Debraine : « Quelques-uns de ces grands noms de l’édition ne s’étaient pas établis en Suisse uniquement en raison de son air pur, de sa tranquillité ou de la beauté de ses paysages. Ils faisaient aussi attention à leur épargne », écrit-il dans sa préface, désacralisant légèrement des figures littéraires auxquelles rien de ce qui est humain n’était étranger. La liste dressée par Luc Debraine n’est pas complète — ce n’étaient pas les seules raisons de leur présence en Suisse. Ainsi lit-on à côté de la photographie de l’écrivain français Paul Morand, petit-fils du graveur Adolphe Petrovitch Morand, fondateur en 1849 d’une fonderie de bronze à Saint-Pétersbourg : « Antisémite, collaborateur zélé de Vichy, il a été contraint après la guerre à l’exil à Vevey, où il est demeuré une dizaine d’années. » En 1934, Paul Morand publia un ouvrage antisoviétique, Je brûle Moscou, où le poète Vladimir Maïakovski devenait l’une des cibles principales.

Les photographies rassemblées dans le livre, accompagnées des légendes écrites par leur auteur, sont remarquables par tout ce qu’elles disent des modèles de Debraine et par la manière dont elles nous invitent à chercher une ressemblance entre les écrivains et les personnages qu’ils ont créés et que nous connaissons tous. Certains auteurs n’apparaissent qu’une seule fois, d’autres à travers plusieurs images, mais il ne faut y voir aucune hiérarchie.

Compte tenu du profil de mon site — l’accent oblige ! — parmi les quarante-six écrivains présents dans le livre, j’ai porté une attention particulière à trois d’entre eux dont la langue maternelle était le russe, même si d’autres — de Friedrich Dürrenmatt à John le Carré — ont également connu la Russie ou en ont fait un élément de leurs œuvres. Curieuse coïncidence : les trois portent le prénom Vladimir. Mais comme ils sont différents !

Vladimir Nabokov, mars 1963, Montreux © Archives Yves Debraine

« Russe, Britannique, 1942–2019. Dissident, défenseur des droits humains, il a été pendant douze ans prisonnier d’opinion dans les prisons et hôpitaux psychiatriques soviétiques. Vladimir Boukovski a été échangé en décembre 1976 à Zurich contre un dirigeant communiste chilien. Auteur de plusieurs ouvrages sur le totalitarisme et la psychiatrie soviétiques. »
Précisons que celui qui fut échangé contre Boukovski n’était autre que Luis Corvalán, et que parmi les trois photographies de Boukovski choisies pour le livre, celle où il porte une chapka m’a particulièrement touchée : on devine immédiatement d’où il arrivait.

« Russe, américain, 1899–1977. Vladimir Nabokov a fui la révolution bolchévique pour se réfugier en Grande-Bretagne, puis en Allemagne et aux États-Unis. Il a écrit ses nouvelles et romans en russe, puis en anglais. La parution en France de son célébrissime Lolita (Olympia Press, 1955) a fait l’objet de maints scandales. Le livre a ensuite connu un succès mondial. Vladimir Nabokov a vécu de 1961 jusqu’à son décès en 1977 dans un palace de Montreux. »
Ainsi tient en un seul paragraphe une vie romanesque que se disputent Russes, Américains et Suisses. Sur les six photographies qui lui sont consacrées, il apparaît tantôt totalement absorbé par l’écriture (toujours debout !), tantôt souriant et détendu.

Vladimir Volkoff, 1979, Lausanne © Archives Yves Debraine

Le troisième Vladimir est moins connu. « Français, 1932–2005. D’origine russe, Volkoff a été officier de renseignement durant la guerre d’Algérie. L’espionnage a nourri son activité littéraire, de ses premiers livres pour la jeunesse à des romans comme Le Retournement (Juillard/L’Âge d’Homme, 1979). Il a aussi été un des premiers intellectuels français à dénoncer les dangers de la désinformation, lui consacrant six ouvrages. »

Yves Debraine l’a photographié à Lausanne en 1979. Selon ses propres mots, Volkoff, connu sous le pseudonyme « Lieutenant X », préférait « écrire en français, bien que je puisse écrire en russe et en anglais ». Seuls deux de ses livres ont été traduits en russe : Vladimir le Soleil Rouge et Les Chroniques angéliques.

Si vous souhaitez admirer les portraits des écrivains de près, rendez-vous à la Fondation Jan Michalski à Montricher : ils y sont exposés jusqu’au 18 janvier 2026. Et profitez-en pour acheter le livre ! Comme chacun le sait, un livre est toujours un beau cadeau, et un livre sur les écrivains l’est plus encore.

P.S. Chers lecteurs,

Voici mon dernier texte publié sur le site de Nasha Gazeta. Si vous vous intéressez à l’actualité culturelle, aux entretiens exclusifs avec ses figures les plus marquantes, aux critiques et aux annonces des événements les plus intéressants, je vous invite à me suivre via mon blog personnel trilingue sur le site www.rusaccent.ch.

Notre échange sera encore plus direct et plus actif : jusqu’à présent, je m’efforçais déjà de répondre aux commentaires laissés sous mes publications, mais vous n’en étiez pas toujours au courant. Désormais, tous les commentateurs recevront une notification de ma réponse par courriel. Ma première publication de la nouvelle année est prévue pour le 6 janvier ; nous verrons ainsi si tout fonctionne! En attendant, je vous souhaite à tous une excellente santé et une année 2026 paisible ! A très vite!


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